"TURBBRIDGE", Faire converger le regard du mathématicien et du physicien sur la turbulence

Ce projet de recherche réunit un consortium de mathématiciens et physiciens experts dans le domaine de la turbulence. Même si l'intérêt pour les écoulements turbulents remonte à plusieurs siècles, les physiciens et mathématiciens qui se sont penchés dessus ne sont toujours pas parvenus à proposer une explication et une description satisfaisantes de tels phénomènes. Pour amender la théorie de la turbulence, les chercheurs de TURBBRIDGE, prévoient d'effectuer des travaux de recherche fondamentale. Ces travaux pourraient aussi avoir un écho favorable au sein du milieu industriel avec, d’une manière générale, de nombreuses applications potentielles à tout ce qui a trait au domaine de la science pour l’ingénieur.

La turbulence un phénomène omniprésent

La turbulence est un phénomène qui se retrouve dans nombre de disciplines : des mathématiques à la physique, en passant par la mécanique des fluides, à la météorologie et à l'astrophysique. Ce phénomène désigne l’état d’un fluide, liquide ou gaz dont l’écoulement est caractérisé par l’apparition de tourbillons.

D’apparence, les écoulements turbulents sont très désordonnés, en raison de leur comportement difficilement prévisible et de l'existence de nombreuses échelles spatiales et temporelles.

Nous pouvons observer leurs manifestations dans l'atmosphère, en particulier dans le phénomène du vent, ou dans les arabesques de la crème versée dans notre café.
La turbulence est ainsi un peu partout autour de nous : de la circulation du sang à l'intérieur de nos vaisseaux sanguins, aux écoulements d’air autour d'une voiture ou d'un avion. Sans ce phénomène, la pollution urbaine se maintiendrait pendant des millénaires.

Une caractéristique très importante des écoulements turbulents est donc leur aspect chaotique. De ce fait, ils apparaissent comme non prédictibles. Par exemple, dans la pratique il est impossible de prédire, avec exactitude, le temps qu'il fera au-delà d'environ une dizaine de jours. Cependant, des progrès récents, dû aux travaux de Michael Ghil, Bernard Legras et Robert Vautard, rendent concevables des prévisions un peu plus grossières à l'échelle de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois dans les régions tropicales.

Pour être en mesure de mieux comprendre ce phénomène, des équations sont censées décrire les écoulements des fluides (liquides ou gaz) ordinaires. Ce sont les équations de Navier-Stokes et d’Euler.


Amender la théorie de la turbulence

Le projet TURBBRIDGE propose d’étudier des nouvelles méthodes dans la modélisation mathématique de la turbulence. Plus particulièrement, il vise à mieux comprendre les solutions dans le régime d’intermittence (fractal) de l’équation de Euler.

Pour y parvenir, le projet porte sur trois aspects principaux, traitant des corrections intermittentes (anomales) aux équations de Kolmogorov (1941) et d'Onsager (1949), en passant par les solutions à échelle invariante des équations d'Euler et la stochasticité spontanée.

Le but de ce projet est également de s’intéresser à des problématiques de turbulence à l’interface entre mathématiques et physique afin d’obtenir de nouveaux résultats.

En effet, cinq siècles après les travaux de Léonard de Vinci sur le contrôle des tourbillons et de leur effet dans la rivière Arno, le sujet n’est toujours pas clos. Au 20ème siècle, ce sont tout d’abord les innombrables applications pratiques comme par exemple, dans le domaine de l’aéronautique, qui ont été le moteur d’un progrès qui s’est plutôt concrétisé par le développement de modèles empiriques que par de véritables percées fondamentales.

A partir de 1940, grâce en particulier au mathématicien russe Andrei Nikolaevich Kolmogorov, une véritable théorie a été proposée. Auteur de quelques 500 articles, il a abordé d’innombrables sujets mathématiques dont l’axiomatisation des probabilités. Le mathématicien est aussi connu pour ses travaux majeurs dans le de domaine de la « turbulence hydrodynamique ».

En 1941, Kolmogorov propose d’étudier la turbulence comme une « invariante d'échelle ». Par cette approche, il établit une description statistique des fluctuations à petites échelles de la turbulence (ronds de fumée, torrents des montagnes). Les spécialistes nomment sa théorie « K41». Elle repose partiellement sur des résultats expérimentaux (loi des 4/5) et considère donc que les propriétés statistiques sont les mêmes, à toutes les échelles.

La théorie de Kolmogorov s’est révélée à la fois féconde en applications, notamment en modélisation pour l’ingénieur, et pas tout à fait correcte.


La turbulence, un phénomène encore difficile à décrire

Même si l’intérêt pour les écoulements turbulents remonte à plusieurs siècles, les physiciens et mathématiciens qui se sont penchés dessus, ne sont toujours pas parvenus à proposer une explication et une description satisfaisantes de tels phénomènes.

Toutefois, au cours de ces quatre-vingts dernières années, un début de compréhension théorique a été amorcé, grâce notamment aux prédictions de mise à l'échelle de Kolmogorov en 1941 (K41), au critère 2 de Onsager de 1949 (Ons49) pour la dissipation anormale d'énergie, et à la découverte par Kraichnan de la cascade d'énergie inverse pour la turbulence 2D 3.

De plus, à partir des expériences et des simulations numériques de ces quarante dernières années, il est maintenant avéré que l'invariance d'échelle simple de K41 est rompue et qu'un fluide turbulent présente une échelle multifractale.

Récemment, une avancée importante a été réalisée dans la compréhension mathématique ab initio de la turbulence, en utilisant des outils issus de la théorie de l'intégration convexe de Gromov et étroitement liés à l'article de Nash (1954).

Tous ces progrès fournissent un terreau fertile pour les membres impliqués dans TURBBRIDGE pour être en mesure de synthétiser des écoulements turbulents avec une dynamique réaliste.

En vue de faire progresser significativement la description de ce type de phénomène, le présent projet fait donc appel à l’expertise pointue de chercheurs reconnus dans ce domaine.

A Université Côte d’Azur les chercheurs mobilisés dans ce projet sont notamment le physicien, Uriel Frisch (Lagrange), spécialiste de la mécanique des fluides, de l’astrophysique et des mathématiques appliquées connu pour ses travaux sur la turbulence appliquée à l’astrophysique, ou encore le physicien Sergey Nazarenko (INPHYNI).

Pour effectuer des percées majeures dans le domaine de la turbulence, une collaboration internationale interdisciplinaire entre mathématiciens, physiciens, spécialistes de la dynamique des fluides et numériciens a aussi été initiée. 

Aussi, la majeure partie du projet repose sur la venue à Nice de spécialistes provenant de France et d’Europe. C. Bardos, M. Brachet, Y. Brenier et I. Gallagher de Paris, ont déjà accepté de passer une semaine à Nice, au cours de laquelle ils travailleront avec les scientifiques locaux et donneront au moins un séminaire (de préférence un colloque, donné à Die Dieppe). Une visite de 3 mois d’A. Mailybaev (Brésil) est également prévue.

De même, d’autres participations sont attendues telles que celles :

- L. Biferale (Rome),
- T. Buckmaster (Princeton),
- G. Eyink (Baltimore),
- K. Khanin (Toronto),
- T. Matsumoto (Kyoto),
- R. Pandit et S.S. Ray (Bangalore),
- L. Székelyhidi (Leipzig).

Toutes ces collaborations visent à mettre en place une stratégie mathématique, physique et numérique cohésive dans le but de construire une grande classe de solutions faiblement dissipatives avec une échelle multifractale, déduite des équations hydrodynamiques.

L'étude de la mesure invariante associée, autrement dit des propriétés statistiques à long terme, devrait révéler dans quelle mesure les propriétés d'échelle sont caractérisées par la présence d'un nombre important d'éléments.

Avec ce projet, une véritable théorie solide et prédictive de la turbulence pourrait naître d’ici les prochaines années. 

TURBBRIDGE nourrit également des objectifs plus larges à travers la mise en place d’une action collaborative mondiale en mathématique et en sciences physiques qui s’attacherait, par exemple, à une étude approfondie des aspects probabilistes. Cette initiative permettrait à Université Côte d’Azur de se positionner comme un acteur substantiel au cœur de cet ambitieux programme de recherche.
 
L’Académie Systèmes Complexes soutient le projet audacieux "TURBBRIDGE" consolidé par un consortium mondial en finançant de courtes visites sur le territoire niçois de spécialistes extérieurs (mathématiciens et numérateurs) avec une subvention de 15k€.