Entretien avec André Quaderi, psychologue clinicien

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Publié le 18 novembre 2020 Mis à jour le 4 mars 2021
Date(s)

le 18 janvier 2019

café avec smiley en mousse
café avec smiley en mousse

Baptisé "Blue Monday", le 21 janvier est le jour le plus déprimant de l'année. Nous avons demandé au Professeur André Quaderi, psychologue clinicien et psychothérapeute EMDR, d'évoquer cet état familier et pourtant bien particulier qu'est la déprime.

Le blue monday est présenté comme étant « le jour le plus déprimant de l’année ». Cette date a été imaginée car elle serait «  le point de convergence de plusieurs paramètres négatifs ». Est-ce que c'est la définition qui caractérise le mieux la déprime passagère : un «  trop plein » émotionnel et/ou cognitif ? 

 

Nous pouvons répondre avec deux nuances. Le trop plein émotionnel est une métaphore intéressante mais inexacte, elle a le mérite de souligner que l’émotion est « trop » présente. La réalité est plus complexe bien entendu. L’émotion est en trop dans le sens où elle est la seule majoritaire. Parmi les émotions primitives, la peur, la joie, la tristesse, le dégout et la colère, celle qui nous intéresse dans la dépression est bien la tristesse. Celle-ci n’est "en trop" que par ce qu’elle inhibe donc les autres et notamment la joie. Être triste est une fonction primitive qui fait lien social. Un membre de la famille qui présente une émotion de tristesse va attirer l’empathie et le soutien de ses semblables. Dans le cas de la déprime il n’y a QUE la tristesse, qui n’est pas régulée par les fonctions cognitives supérieures. Ces dernières (et cela sera ma seconde nuance) ne jouent alors plus leur fonction régulatrice et vont s’organiser « autour » de l’information tristesse qui vient envahir et perturber le fonctionnement cognitif. Quand l’émotion de tristesse, au lieu de partir (dans les aléas des événements de la vie quotidienne) devient pérenne elle se transforme alors en une déprime.

 

Savoir associer des émotions négatives à des éléments bien définis, comme la météo, le jour de la semaine, la fin de mois, l’après-fêtes, permet-il d’une certaine façon de se protéger d’états plus inquiétants, susceptibles de prendre par exemple la forme d’une dépression ?

C’est une question intéressante et la réponse doit être prudente : en général nommer la cause d’une tristesse ou d’une tout autre émotion négative permet en tout cas de tenter de la réguler et de la circonscrire. Ce n’est malheureusement pas toujours possible, surtout si l’origine de la tristesse dépasse les événements quotidiens d’une vie. 

Du point de vue de la psychologie, est-il plus pathologique de pâtir de variations de l’humeur que de se sentir toujours à humeur égale, que celle-ci soit positive ou négative ? 

 

C’est une question philosophique, pas psychologique, et je laisserais bien soit Schopenhauer soit un écrivain comme Houellebecq répondre. Je vais tenter d’apporter si ce n’est une réponse définitive, une piste de réflexion. La question de l’humeur mobilise une autre notion que l’émotion : le sentiment. Le sentiment, pour le dire simplement, c’est la permanence d’une émotion. La permanence de la tristesse, nous l’avons vu, c’est la déprime. La permanence de la joie, c'est le bonheur, la sécurité, la confiance. La variation de l’humeur est donc sur une temporalité plus longue que la simple émotion. Après un spectacle d’un humoriste (Gaspard Proust par exemple) la joie va perdurer mais peu de temps. Il en va de même de la peur suscitée par un film d’horreur. L’humeur, quand elle dure plus longtemps, est indexée à l’émotion. Ne pas avoir de variation de l’humeur sous-entend donc l'absence de vibration de l’émotion en synchronicité. Il est donc peu probable sur l’échelle temporelle d’une semaine, d’une journée, de ne pas connaitre de variation. Toutefois, nous pouvons aller encore plus loin.  Personne ne peut vivre sans amour, sans joie, sans cette émotion qui nous enivre et qui nous perturbe lorsqu’elle est absente. Qui voudrait d’une vie sans émotion positive, sans l’étreinte de la douceur d’un lever de soleil ? Le risque de cette émotion positive est bien entendu sa perte, son absence douloureuse, supplantée par la colère, la peur, la tristesse ou le dégout. Ne pas connaître de variation de l’humeur c’est ne pas connaître la joie et donc finalement vivre dans une indifférence qui peut nous conduire à la solitude et à la tristesse. 


La psychologie positive, définie comme étant « l’étude scientifique des forces et des qualités qui permettent aux individus et aux communautés de s’épanouir » est-elle une psychologie de la prévention et/ou une thérapie de soin?

Effectivement le champ de la psychologie positive va de la psychologie de la santé (donc la prévention) à la psychologie clinique (donc la thérapie).

À quelles conditions/ à quel moment peut-on y avoir recours avec un patient pour que celle-ci soit efficace ?

Long développement que cette question peut entrainer. Nous allons faire plus court. Dans le domaine de la prévention, cela peut commencer dès le plus jeune âge dans l’éducation, l’enseignement et l’apprentissage par le renforcement positif. Dans le cas de la pathologie, la réponse est plus simple encore : toutes les thérapies scientifiques s’appuient sur la psychologie positive. Ces thérapies s’attachent moins à trouver un coupable (trop souvent le patient qui n’est pas « assez », qui était « consentant », ou quoi d’autre encore) que de trouver des ressources positives et de les déployer. Il est donc moins important de trouver la cause que de donner au patient l’envie, le souhait, les projets et créer ainsi un cylcle vertueux de succès positifs. 

Quelle(s) différence(s) faut-il faire entre la pensée positive et la psychologie positive ?

La pensée est l’essai singulier  de la tentative du bonheur, la psychologie positive sa méthode ? Ou pour paraphraser Houellebecq,  restons vivants et heureux. 

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