Les interactions Humain-Robot renforcent-elles les stéréotypes culturels ? Application du « biais du TIReur » aux rOBOTs dans un contexte Français (TIROBOTfr)

En quelques mots

Le projet TIROBOTfr concerne l’identification et la compréhension de la menace du transfert des stéréotypes sur les origines dans les relations humain-robot. Un tel projet est l’occasion de questionner la conception des robots sociaux et les politiques de leur introduction dans nos quotidiens.
D’un point de vue citoyen, faut-il exposer les populations à des robots différents, genrés, racialisés, etc., pour familiariser les individus à la différence ? Ou doit-on développer des robots neutres (p. ex., voix non genrées), faire disparaître la diversité, afin d’éviter de renforcer les stéréotypes et d’exacerber leurs conséquences délétères ?

Projet de recherche de l'Axe 1

DATE : 2023

RESPONSABLE : Isabelle Milhabet, LAPCOS, EUR ODYSSÉE

DISCIPLINES : psychologie sociale, ergonomie, interaction homme-machine

MOTS-CLÉS : robots sociaux, biais du tireur, perception de menace, relation intergroupe, jeux vidéo

Description du projet


CONTEXTE

Une vaste littérature psychosociale a montré l’importance des appartenances au groupe (endogroupe vs. exogroupe) sur les perceptions et jugements sociaux (allié ou menace ?), les attitudes (positives ou négatives ?) et les comportements (coopération ou compétition ?) envers un Autre. Lorsque l’Autre est perçu comme menaçant les ressources ou les valeurs du groupe d’appartenance (menaces réalistes et symboliques), des processus de distanciation (« nous » vs. « eux ») peuvent se mettre en place. Si ces processus observés dans les interactions humaines le sont également lors d’interaction avec ces robots, alors le groupe d’appartenance du robot (endogroupe vs. exogroupe) modifie les perceptions sociales, les attitudes et les comportements à son égard. Plusieurs travaux démontrent ce glissement dans les relations humain-robots ( par exemple pour les stéréotypes de genre). Toutefois, rares sont les travaux impliquant les stéréotypes sur les origines.

Les stéréotypes sur les origines ont été mis à l’épreuve sous forme de jeu vidéo via la tâche du « dilemme du policier » (« tirer » le plus rapidement possible sur des cibles (humaines) armées ou « ne pas tirer » sur une cible non armée). Les travaux initiés en 2002 ont montré que les joueur·euse·s « tirent » plus vite sur les cibles humaines noires que blanches armées et décident plus lentement « de ne pas tirer » sur les cibles humaines noires que blanches non armées. Cet effet est appelé « biais du tireur ». Ces résultats ont été répliqués en 2016 dans un contexte européen.

Par ailleurs, plusieurs travaux montrent que certains processus impliqués dans les interactions entre humains s’appliquent également dans les interactions Humain-Robot (p. ex., stéréotypes de genre) mais rares sont les travaux impliquant les stéréotypes sur les origines. Cela étant, des résultats similaires ont été obtenus à l’aide des mêmes outils de mesure sur des cibles robotiques (robot NAO) « blanches et noires » et sur des cibles humaines. En d’autres termes, les participant·e·s sont plus rapides à « tirer » sur des cibles humaines et robotiques noires armées que blanches armées, et de « ne pas tirer » sur les cibles humaines et robotiques noires non-armées que blanches non-armées. Il est à noter que ce « biais du tireur » est favorisé par une perception de menace intergroupe, elle-même produit par les stéréotypes culturels.


OBJECTIFS

L’objectif est de réaliser une variante de l’étude de Bartneck et al. (Robots And Racism, de Christoph Bartneck et al., 2018) réalisée dans un contexte étasunien et avec un seul type robot présenté – le robot NAO. Les objectifs du projet de recherche présenté sont donc :

  • de reproduire le biais du tireur dans un contexte français sur des cibles humaines et robotiques
  • de présenter non pas un seul type de robot, mais quatre types de robots plus ou moins anthropomorphes (dont le robot NAO) afin d’apporter davantage de nuance aux résultats

Plus encore, l’objectif général de ce projet de recherche est de questionner la conception des robots sociaux et les politiques de leur intégration dans nos quotidiens.


MÉTHODE

Ce type de recherche nécessite en amont de nombreuses précautions éthiques et méthodologiques qui requièrent un pré-test, une étude pilote et la soumission des protocoles à des experts et un comité d’éthique (CER).
Le financement sollicité auprès de l’Académie 5 aura donc pour vocation de mener trois études : un pré-test, une étude pilote ainsi que l’étude expérimentale principale.

L’étude 1 – prétest (N = 100) vise à vérifier la validité de l’élargissement et de l’adaptation du matériel qui sera utilisé dans la tâche du « dilemme du policier ». Il s’agit de s’assurer du degré d’anthropomorphisme perçu des robots (nouveauté par rapport à l’étude initiale), de la perception de leur couleur (contexte français) et de la reconnaissance des objets dans leur main (constitution du matériel complémentaire). L’étude 1 se passe en ligne.

L’étude 2 – pilote (N = 200) se focalise sur les perceptions de menace et les stéréotypes qui pourraient découler de la présentation de différents robots noirs et blancs. L’étude 2 permet (a) de contrôler que les robots sociaux peuvent être perçus comme plus ou moins menaçants selon leur couleur et (b) d’avoir une mesure directe et explicite des perceptions de menaces intergroupes. L’étude 2 est nécessaire dans le processus expérimental avant de réaliser l’étude 3 (c-à-d., mesure des perceptions de menace de manière indirecte avec le nombre d’erreur de « tirs » et les temps de réaction). Plus généralement, l’objectif de l’étude 2 est d’examiner les perceptions de menace sur les ressources et/ou les valeurs que peuvent engendrer les robots présentés en fonction de leur couleur (couleur permettant d’inférer une origine) ainsi que les stéréotypes culturels de participant·e·s français·e·s. En effet, l’effet du « biais du tireur » est favorisé par une perception de menace face un exogroupe et est alimenté par un stéréotype culturel. L’étude 2 se passe en ligne.

L’étude 3 – principale (N = 400) vise à tester le biais du tireur. L’objectif de l’étude 3 est d’examiner, de manière implicite, les stéréotypes sur les origines non seulement envers des cibles humaines (64 images) mais également envers différentes cibles robots (64 images) via une tâche informatique (tâche du « dilemme du policier »). L’étude 3 se déroule en présentiel sur ordinateur.
L’étude 3 implique :
- Le plan intrasujet suivant : 2, Cibles (Humain vs. Robot) x 2, Couleur de la cible (Noire vs. Blanche) x 2, Objet brandi (lambda vs. arme) x Arrière-plans (arrière-plan 1 vs. arrière-plan 2 vs. arrière-plan 3 vs. arrière-plan 4).
- Plusieurs mesures : 1) Temps de réaction, 2) Erreur de « tirs », 3) Vérification de la manipulation.
L’étude 3 déroule de la manière suivante :

  1. - Lecture de la fiche d’information et recueil du consentement
  2. - Réalisation de la tâche « dilemme du policier » avec une phase d’entrainement et une phase de test
  3. - Questions de vérification de la manipulation et de la familiarité des participant·e·s avec cette technologie
  4. - Données socio-démographiques
  5. - Débriefing et tâches de remédiation psychologique (cohérence cardiaque)
Exemple d’une session :
tirobots session
tirobots session
Exemples d’images (adaptées de Bartneck et al., 2018 ; Correl et al., 2002) utilisées dans la tâche du « dilemme du policier » avec des robots (même arrière-plan) :
tirobots variations
tirobots variations

Interdisciplinarité et partenariats

 

RESPONSABLE DU PROJET

  • Isabelle Milhabet, Professeure des universités en Psychologie sociale, Directrice du LAPCOS (Laboratoire d’Anthropologie et de Psychologie Cliniques, Cognitives et Sociales), Université Côte d’Azur

COLLABORATIONS

  • Dayle David, Maîtresse de conférences en Psychologie sociale, chercheure associée au LAPCOS, Université Côte d’Azur

  • Pierre Thérouanne, Maître de conférences en Psychologie cognitive et Ergonomie cognitive, LAPCOS, Université Côte d’Azur

  • Guilhem Lecouteux, Maître de conférences en Sciences économiques, GREDEG, Université Côte d’Azur

  • Mathieu Chevrier, Doctorant en Sciences économiques, GREDEG, Université Côte d’Azur

PARTENARIATS

  • Dayle David, Maîtresse de conférences, LP3C, Université de Rennes 2

  • Jessica Mange, Maîtresse de conférences HDR, LPCN, Université de Caen Normandie

  • Alain Somat, Professeur des université, LP3C, Université de Rennes 2

  • Nathalie Pichot, Maîtresse de conférences, LP3C, Université de Rennes 2
     
 
tirobots logos
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Résultats et valorisation

Les impacts et effets attendus sont de plusieurs niveaux d’intérêt :

  • la construction de connaissances pluridisciplinaires dans le champ des stéréotypes et de l’interaction Homme-Machine
  • une réflexion déontologique et éthique autour de l’introduction opportune (ou non) des robots sociaux et à quelles conditions en termes de qualité de vie
  • des retombées sociétales et appliquées notamment autour des recommandations de conceptions des machines et le manque de diversité

Les apports d’une telle recherche se déclinent en trois temps : à court terme, théoriques et empiriques ; à moyen terme, comme tremplin à un projet ANR ; et, à long terme, appliqués et participant aux ajustements nécessaires aux politiques d’introduction des robots sociaux. Dans le cadre de « l’avènement d’une société numérique », ce projet de recherche questionne l’opportunité (ou non) d’intégrer ces robots sociaux et les bouleversements qui y sont associés.
L’étude des interactions Humain-Robot sur le versant des stéréotypes questionne les dynamiques de groupes sociaux et plus encore l’identité même d’Humain. L’examen des facteurs sociaux associés à l’introduction et à l’usage des robots sociaux soulèvent des questions psychologiques, sociales, sociétales, éthiques, politiques, économiques et technologiques. La conception des robots doit-elle reposer sur les stéréotypes, les déconstruire ou les faire disparaître pour un usage adapté à tous les domaines (santé, éducation, etc.) et à tous les âges ?

SUITE

Mise en place possible d'un partenariat avec Philip Jackson (Université Laval, Canada) et Damien Vistoli (LAPCOS, Université Côte d’Azur) sur les liens entre préjugés, l’empathie et les comportements prosociaux lors d’interaction avec des agents virtuels.
 

Publications
  • Prévu : Article dans une revue internationale référencée en Open Science (International Journal of Social Robotics, Q1 psychologie sociale et IHM et philosophie et sciences informatiques)

ANR et autres financements

Le projet vise un renforcement de sa dimension interdisciplinaire, en vue du dépôt d’un projet ANR, en complétant les mesures des menaces sur les ressources des premières études, par d’autres mesures économiques (degré de confiance/compétition dans des tâches d'économie expérimentale, en fonction des caractéristiques perçues du robot).
L'objectif de l'ANR est de comprendre les phénomènes psychosociaux de l’humanisation d’objets technologiques (p. ex. par design anthropomorphique, autonomie) et de la déshumanisation des êtres humains (p. ex. automatisation des activités, codépendance technologique).

Annexes