Les briques élémentaires de la vie seraient-elles d’origine extra-terrestre ? Pour apporter du poids à cette théorie, le projet ANA développe des expériences transdisciplinaires mêlant chimie, astrophysique et chimie quantique. Les chercheurs vont recréer en laboratoire les conditions de formation de molécules organiques du vivant sur des analogues de glaces interstellaires. Ces expériences permettent à la fois de produire et d’analyser les composants organiques essentiels à notre matériel génétique, et apportent un nouvel éclairage sur l’apparition de la vie sur Terre.
Un mystère en cache un autre…ou l'homochiralité du vivant
Les briques élémentaires du vivant se sont-elles formées sur Terre ou dans l'espace ? Deux hypothèses relatives à l'origine de la vie s'affrontent. Selon la première, toutes les molécules organiques nécessaires à la création de la vie se seraient formées sur notre planète. Selon la seconde, les briques élémentaires du vivant se formeraient dans l’espace.
Au début de l'histoire du système solaire, des pluies de météorites s’abattaient régulièrement sur la Terre. Ces objets abritant des molécules organiques simples auraient ainsi inséminé notre planète.
Pour étudier comment la vie est apparue sur Terre, Cornelia Meinert et les collaborateurs du projet ANA vont s’appuyer sur cette seconde hypothèse et être confrontés à une autre énigme.
La plupart des éléments constituants le vivant sont des molécules dites « chirales ». Autrement dit, ces molécules existent sous deux formes possibles : « droite » et « gauche », comme nos mains.
Cependant, sur Terre les molécules à la base du vivant, les acides aminés et les sucres, ne sont présentes que sous une seule forme. Ainsi, les acides aminés terrestres sont de forme « gauche » alors que les sucres, sont de forme « droite ». On parle alors d’asymétrie ou d’homochiralité du vivant.
La détermination des causes de cette asymétrie permettrait de résoudre une autre question fondamentale de la science : celle de nos origines.
Faire la lumière sur l’origine de la vie
Le projet s’attelle à trouver des réponses à un mystère non résolu à ce jour : pourquoi la vie terrestre n’est-elle basée que sur une unique forme de molécule?
Pour l’équipe, il s’agit de déterminer l’origine de cet excédent de molécules de version « gauche » ou « droite » dans les molécules constitutives du vivant, telles que les protéines et l’ADN. Pour apporter des éléments de réponse, les chercheurs s’appuient sur la théorie émise que l'explication pourrait se trouver dans l'espace.
En 1969, une météorite est tombée près de la petite ville australienne de Murchison. Son analyse a révélé qu'elle contenait 8 acides aminés que l’on retrouve dans les protéines des êtres vivants terrestres. L'analyse a aussi décelé des molécules semblables à celles présentes dans l'ARN et l'ADN. Cette observation est à l’origine de la théorie l’ensemencement de la Terre primitive par des météorites.
Outre l’analyse de météorites, la présence d’acides aminés ou de sucres a été mis en évidence dans des analogues de glaces interstellaires. Les chercheurs du projet ANA basent leur étude sur ces glaces interstellaires simulées en laboratoire en combinant plusieurs méthodes expérimentales.
Dans un premier temps, il s’agit de préparer des échantillons analogues aux glaces interstellaires avec un mélange d'eau, d'ammoniac et de méthanol. Dans un second temps, les chercheurs doivent simuler le même environnement dans lequel ces glaces se trouvent dans l’espace.
Pour cela, les échantillons sont soumis à un rayonnement ultraviolet polarisé circulairement au synchrotron SOLEIL à Paris. Cette irradiation permet de reproduire les effets d'un million d'années d'exposition aux rayons cosmiques en seulement quelques heures.
Enfin, ces échantillons sont analysés par des méthodes de pointe dans le but d’identifier des précurseurs de molécules biologiques telles que les sucres (ADN) ou les acides aminés (protéines).
L’objectif de ces expériences est de démontrer que l’excès de molécules de forme « gauche » ou « droite » présent dans les molécules du vivant, aurait été induit par une lumière particulière présente dans les nébuleuses stellaires, véritables berceaux des systèmes solaires.
Cette lumière dite circulairement polarisée a la particularité d’interagir de manière différentielle avec les molécules de forme « droite » ou « gauche ». Ce rayonnement des étoiles, en irradiant les briques élémentaires du vivant présentes sur la surface des glaces et poussières interstellaires auraient privilégié une forme au détriment de l’autre.
Ainsi, ce phénomène aurait joué un rôle déterminant dans l'émergence de la vie et laissé son empreinte sur la Terre dans l'organisation des molécules qui la composent. Nous conserverions en nous, comme tous les êtres vivants de notre planète, la trace d'un phénomène physique qui a eu lieu quelque part autour du Soleil il y a plusieurs milliards d'années.
Un projet collaboratif à fort impact scientifique pour Université Côte d'Azur (UCA)
Ce projet repose sur un double enjeu. Le premier est de reproduire en laboratoire des glaces interstellaires dans les mêmes conditions que l’on retrouve dans le vide intersidéral. Le second enjeu est d’apporter du poids à la thèse émise sur l’origine de l'asymétrie des molécules.
Cette asymétrie ou sélection de forme briques élémentaires du vivant ne serait pas due au hasard, mais à des réactions photochimiques à l’œuvre dans l’espace interstellaire, sur la matière extraterrestre.
Ce projet fait partie d’une autre initiative reconnue à Université Côte d'Azur (UCA) "Asymétrie - Origine, évolution et expression".
Il offre la possibilité de renforcer des collaborations transdisciplinaires au niveau de l'UCA entre chimistes, astrophysiciens et théoriciens. Il inclut également des partenaires externes qui sont des autorités mondiales dans le domaine de la recherche sur la chiralité. Ainsi, le projet « ANA » renforce les liens dans le paysage de la recherche locale et la visibilité d'Université Côte d'Azur. Récemment, des premiers résultats sur l’origine asymétrique des briques d’ADN (des sucres) ont été obtenus par des développements spectroscopiques[1].
Grâce au soutien d'Université Côte d'Azur, de l’ERC, du CNRS et du CNES, Cornelia Meinert de l’Institut de Chimie de Nice (ICN) développe actuellement des outils d’analyse de haute performance pour répondre aux appels d’offres concernant l’analyse d’échantillons extraterrestres (météorites) ou d’échantillons prélevés sur des astéroïdes pour apporter des éléments de réponses à la question de nos origines.
L’Académie Systèmes Complexes soutient le projet "ANA" en octroyant une subvention de 17,5k€ pour couvrir des dépenses liées à différents voyages et achats pour mener les expériences (colonnes GC chirales, standards enantiopure & 13C, fournitures GC, gaz & N2 liquide, filaments TOF MS, etc.). |
[1] Spectromètre : Appareil destiné à la mesure de la répartition d'un rayonnement en fonction de la longueur d'onde ou de la fréquence.
Légende : le ribose, sucre de l'ARN, pourrait se former sur les grains de glace irradiés par la lumière ultraviolette dans les pépinières stellaires telles que la Nébuleuse de Carina, dont une partie est vue dans cette image du télescope spatial Hubble. Credit: NASA, ESA, and M. Livio, The Hubble Heritage Team and the Hubble 20th Anniversary Team (STScI)