- Science et Société,
ModelAnSet" ou Modéliser le rôle des interactions socio-environnementales dans la dynamique du peuplement à l’époque romaine
Le projet ModelAnSet utilise les potentialités de la modélisation pour mieux comprendre les interactions entre les sociétés du passé et leur environnement. Si le propre de l’archéologie est d’étudier les vestiges laissés par les sociétés anciennes, il lui est impossible d’observer ou de reproduire les processus qui ont généré ces vestiges. En permettant de recréer artificiellement ces processus, les modèles de simulation sont des outils particulièrement précieux pour tester différents scénarios et hypothèses sur le fonctionnement des sociétés passées.
Explorer les interactions complexes entre processus sociaux et phénomènes naturels
La question à laquelle s’intéresse plus particulièrement le projet est de comprendre quel est l’impact des facteurs environnementaux (climat, topographie, qualité des sols, hydrologie) et sociaux (contexte macro-économique, degré de technicité, comportements sociaux, etc.) sur la manière dont les territoires ont été occupés et mis en valeur à l’époque romaine. Les recherches archéologiques montrent que la conquête romaine de la Gaule entre la fin du 2e siècle et le milieu du 1er siècle avant n. è. introduit un certain nombre d’innovations conduisant à des transformations de la société gauloise, qui se traduisent, entre autres, dans les manières d’habiter, d’exploiter et d’aménager l’espace. Mais loin d’être homogène, la « romanisation » se manifeste au contraire du point de vue du peuplement par des densités, des formes et des évolutions très différentes selon les territoires. Par exemple, au sein d’une même région, certaines zones sont occupées de manière intense et durable tandis que d’autres font l’objet d’une occupation plus éparse et éphémère.
Simuler le passé pour mieux le comprendre
Afin d’explorer les raisons de ces différences, une équipe pluridisciplinaire composée d’une archéologue, d’une historienne et d’une géoarchéologue du CEPAM, d’un géographe d’ESPACE, d’un économiste du GREDEG et d’informaticiens d’I3S a été constituée au sein de l’Université Côte d’Azur. Grâce à ces compétences complémentaires, un Système Multi-Agents (SMA) a été développé. L’intérêt de ce type de modèle informatique est de simuler le comportement des individus, en l’occurrence des propriétaires terriens gallo-romains, et les effets de ces actions individuelles sur l’ensemble du système, dans notre cas le système de peuplement antique. Les données historiques et archéologiques ont permis de définir différents types de propriétaires fonciers (du simple fermier au membre de l’aristocratie locale) dont le comportement varie en fonction de leur statut socio-économique et de la rentabilité de leurs exploitations agricoles. Dans le modèle, cette rentabilité dépend d’une part des conditions environnementales, elles-mêmes influencées par le climat, d’autre part du contexte économique au sein de l’Empire romain. En fonction de ces paramètres, chaque propriétaire peut décider d’agrandir son exploitation, de la garder en l’état, de l’abandonner ou de créer un nouvel établissement. Au fur et à mesure de la modélisation, le jeu répété de ces actions individuelles permet de simuler la dynamique du peuplement rural, en termes de nombre, de localisation et de formes des exploitations agricoles. C’est en comparant les résultats de différents scénarios simulés avec les observations archéologiques que l’on peut progresser dans la compréhension des processus, sociaux et environnementaux, qui influent sur la dynamique du peuplement à l’époque romaine. Pour que ces comparaisons soient possibles, le modèle prend appui sur les données archéologiques et paléo-environnementales collectées par le CEPAM dans le territoire de la colonie romaine de Fréjus (Var), l’antique Forum Iulii.
Un projet transformant le paysage scientifique
Ce projet est l’opportunité de réunir des communautés qui n’ont jusqu’à présent pas ou peu collaboré autour d’un objet commun. Les rapprochements entre les Sciences Humaines et Sociales, les Sciences de la Terre et les Sciences Informatiques transforment le paysage scientifique d’Université Côte d’Azur (UCA). L’animation scientifique générée par les séminaires et le workshop international organisés est susceptible d’accroître la visibilité des recherches conduites au sein d’UCA dans le domaine de la modélisation multi-agents, tout particulièrement dans une discipline, l’archéologie, où ce genre de modèle est encore peu développé. De plus, l’équipe de ModelAnSet s’est associée à un projet de plus grande envergure avec des paléoclimatologues et agronomes d’Aix-en-Provence[1]. Dans le cadre de ce partenariat, le modèle multi-agents élaboré au sein du projet ModelAnSet constitue l’une des briques du modèle développé dans RDMed. L’association de ces deux projets permet ainsi d’enrichir la simulation en couplant le Système Multi-Agents socio-environnementalavec un modèle paléoclimatique, un modèle d’érosion et un modèle de fonctionnement des agrosystèmes antiques. Le but est de simuler différents scénarios de réponses sociétales aux changements climatiques et environnementaux. Au-delà de la connaissance des sociétés du passé, ces recherches ont également un intérêt pour des enjeux plus actuels. En étudiant comment les sociétés anciennes ont réagi aux changements climatiques nous pouvons tirer des enseignements sur les facteurs sociaux, économiques, technologiques, environnementaux, qui entrent dans ce phénomène. Leur adaptation ou au contraire leur fragilisation renseigne les sociétés contemporaines sur leurs propres capacités à faire face au réchauffement climatique en cours.
[1] Projet RDMed-Resilience and adaptation to Droughts and extreme climate events in the MEDiterranean: lessons learnt from past on a 1.5°C or more warmer world, coordonné par Joël Guiot, paléoclimatologue au CEREGE et membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
Légende de la figure : Capture d’écran d’une simulation avec le Système Multi-Agents ModelAnSet.