Champs neuronaux à plusieurs échelles de temps : applications à la modélisation de la dépression corticale

L'objectif de ce projet est de mieux comprendre certaines formes de migraine causée par l’apparition de dépression corticale envahissante (CSD). Pour mieux prévenir ce type de phénomène à l’origine de nombreux états pathologiques du cerveau comme la migraine ou les attaques cérébrales, des experts se mobilisent. Mathématiciens et biologistes travaillent ainsi de pair dans l’espoir que leurs recherches puissent aboutir, dans le futur, à la recherche clinique pour tester de nouveaux protocoles permettant de mieux traiter certaines formes de migraine.


La dépression corticale envahissante (CSD)

Les mécanismes de la migraine sont progressivement mis en lumière, même s’il reste encore de nombreuses questions en suspens.

La migraine est due à une excitabilité neuronale anormale, comme c’est le cas pour l’épilepsie. Ce phénomène sensible est lui-même lié à une prédisposition génétique et se module en fonction de divers facteurs environnementaux (hormones, stress, aliments…).

A ce jour, le mécanisme de déclenchement d’une crise migraineuse n’est toujours pas connu. Cependant, grâce à l’imagerie médicale, on sait que l’hypothalamus serait susceptible d’engendrer des telles crises.

Par ailleurs, des avancées se sont également réalisées sur la compréhension des mécanismes impliqués dans la migraine avec aura. La migraine avec aura se caractérise par l’apparition de troubles neurologiques transitoires avant la crise migraineuse. Il s’agit souvent de troubles d’ordre visuel.

Ainsi, l’aura migraineuse serait probablement provoquée par un dysfonctionnement transitoire du cortex. Ce dysfonctionnement se traduit par une vague lente de dépolarisation des neurones, de l’arrière du cerveau vers l’avant. Ce phénomène appelé la « dépression corticale envahissante" (DCE), est observable par imagerie fonctionnelle au cours de crises de migraine avec aura spontanée.

La vague de dépolarisation ou la dépression corticale envahissante entraîne une baisse passagère de l’activité des neurones, avec une légère diminution du débit sanguin cérébral. Ceci expliquant l’apparition des troubles neurologiques pouvant être visuels, sensitifs, ou encore du langage


Mieux combattre la migraine

L’information circulant dans les nerfs sous forme électrique, appelée l’influx nerveux, se répand par vagues que les neurobiologistes nomment des ondes de dépolarisation. Certaines de ces ondes sont les dépressions corticales envahissantes. De grande ampleur, elles se propagent lentement dans les neurones du cortex cérébral.

Pour mieux comprendre ces ondes suspectées d’être à l’origine de certaines crises de migraine (migraine avec aura) et d’AVC (accident vasculaire cérébral), la modélisation mathématique peut venir en aide à la biologie. Car l’identification précise de ces ondes dans le cerveau humain est techniquement difficile et leur observation est donc très rare.

En revanche, l’étude théorique des équations associées ont permis de mieux comprendre comment de tels ondes se propagent dans notre cortex. Aussi, le déclenchement de ces ondes de dépolarisation et leur propagation peuvent s’étudier à l’aide d’équations des champs neuronaux décrivant l'activité de populations de neurones.

Les chercheurs du présent projet visent à construire et analyser un modèle multi-échelle, en lien avec des données expérimentales. Pour élaborer ce modèle, les chercheurs développeront une théorie pour les systèmes lents-rapides spatialement étendus. Par la suite, ce modèle sera appliqué au problème de la propagation d'ondes de dépression corticale, et servira de base pour étudier, plus précisément, le rôle conjoint des neurones inhibiteurs (ou interneurones) et des cellules gliales, ce qui est novateur.

Pour l’équipe impliquées, plusieurs objectifs sont en jeu.

D’une part, parvenir à mettre au point un modèle ayant le potentiel de mieux expliquer les données expérimentales étant très limitées dans ce domaine. Et d’autre part, parvenir à des prédictions précises des éléments déclencheurs de ces ondes de dépolarisation en vue de pouvoir les contrôler.

Pour réussir dans cette entreprise, le projet s'étend sur 12 mois et se divise en deux parties principales :

1. Dans la première partie du projet, D. Avitabile (mathématiciens appliqués, Université de Nottingham) effectuera un séjour à Université Côte d’Azur (UCA) pendant un semestre sabbatique.
Le succès du projet dépend donc de cette visite qui permettra de combiner l'expertise de D. Avitabile dans les champs neuronaux et celle de Martin Krupa, porteur du projet, et expert sur l'analyse numérique des bifurcations des systèmes complexes.
Le modèle théorique conçu sera par la suite validé par des expériences biologiques au laboratoire de Mantegazza.

2. Au cours du second semestre du projet, D. Avitabile effectuera quelques courtes visites à Nice pour affiner, rédiger et soumettre les résultats du projet. Au cours de ce semestre, l’équipe devrait participer à une conférence majeure dans le domaine des systèmes dynamiques appliqués et des neurosciences mathématiques. Au cours de cet évènement, les résultats de recherche seront présentés. A cette étape du projet, le recrutement d’un chercheur postdoctoral est aussi envisagé.


Rendre plus réalistes les modèles mathématiques

La composante mathématique est centrale dans ce projet. Il s’agit de développer une théorie des champs neuronaux avec plusieurs échelles de temps, encore inexistante à ce jour.
Ce sont des modèles de limites continues de réseaux de neurones qui permettent de rendre compte de l'activité électrique de larges populations de neurones et de régions entières du cerveau. Cependant, s'ils sont bien adaptés à l'analyse mathématique fine, ces modèles sont relativement simplifiés et perdent beaucoup de détails de la réalité biologique.

Un premier pas pour les rendre plus réaliste est de leur adjoindre d'autres équations pour prendre en compte des quantités qui varient lentement. Ces variations lentes sont cruciales dans la survenue de phénomènes pathologiques comme ceux liés à la dépression corticale envahissante (CSD) où certaines concentration ioniques (par exemple, le potassium extra-cellulaire) augmentent lentement, jusqu'à passer un seuil et projeter une région entière du cerveau vers un état pathologique.


Déboucher sur de nouveaux protocoles cliniques

Ce projet rassemble des mathématiciens (LJAD, Inria Sophia Antipolis mais aussi l'Université de Nottingham en Angleterre) et un biologiste (IPMC) qui collaborent pour relier des résultats analytiques et de modélisation aux expérimentations et vice versa.

L’objectif étant tourné vers l'identification de paramètres clés pouvant être exploités pour bloquer ces ondes. Ce projet s'inscrit dans le cadre d'une initiative internationale regroupant également le professeur David Terman (Ohio State University, USA), spécialiste de renommée mondiale de modélisation neuronale.

Cette étape de recherche fondamentale pourrait s'étendre, dans le futur, à la recherche clinique pour tester des nouveaux protocoles et permettre de mieux traiter certaines formes de migraine.

Ce projet ancre durablement la thématique des neurosciences au sein d'Université Côte d'Azur (UCA) faisant intervenir des enjeux médicaux multiples : mieux comprendre certaines formes de migraine avec aura, identifier les éléments déclencheurs en termes de dysfonctionnement neuronal local et de propagation à des régions entières du cerveau, et enfin où ces ondes arrêtent leur propagation et comment les forcer à s’arrêter.
 
L’Académie Systèmes Complexes soutient ce projet avec une subvention de 20k€ afin de financer la venue d’un membre extérieur de l’équipe prévue sur plusieurs mois à Nice.