"Hypie", Expériences d'impact à hypervitesse : comprendre la formation et l’évolution des astéroïdes riches en fer

Le projet Hypie réunit une équipe pluridisciplinaire et internationale pilotées par des chercheurs d’Université Côte d’Azur. L’objectif principal de cette collaboration est de mieux comprendre la nature de corps célestes encore inexplorés à ce jour, à savoir les astéroïdes riches en fer. Pour cela, une série d’expériences d’impacts à très haute vitesse a été réalisée pour reproduire les collisions maintes fois subies par ces astéroïdes depuis leur naissance. Des projectiles rocheux ont été propulsés sur des échantillons de matériaux dont la composition minéralogique est semblable à celle des astéroïdes ferreux. Grâce à ces expériences, les chercheurs ont pu se faire une idée de l’état des surfaces de ces corps rocheux mais aussi faire une découverte notable. Les astéroïdes de fer se dissimuleraient grâce à une tenue de camouflage sur leur surface. Avec toutes ces données, les membres du projet Hypie pourraient devenir des interlocuteurs privilégiés de la NASA. L’agence américaine prévoit d’explorer, pour la première fois, un astéroïde métallique en 2026 dans le cadre de la mission, Psyché.

Les météorites métalliques, de précieux vestiges 

Les météorites sont des corps rocheux d'origine extraterrestre survivant à la traversée de notre atmosphère et qui échouent sur Terre. Il existe une grande variété de météorites : les pierreuses, les métalliques et les mixtes.

Les chercheurs impliqués dans le projet Hypie se penchent plus particulièrement sur l’étude de météorites métalliques composées essentiellement de fer et de nickel. Ces objets extraterrestres sont connus depuis l’Antiquité et intéressent autant les collectionneurs que la communauté scientifique. Pour les scientifiques, ce sont des échantillons précieux qui aident à mieux comprendre comment les noyaux métalliques se sont formés dans d’autres corps célestes (étoiles, planètes).

Car la composition minéralogique de ce matériel extraterrestre nous renseigne sur les conditions de formation et d'évolution des corps encore tout jeune de notre Système solaire.

Par conséquent, des découvertes majeures, comme l’âge de la formation du Système Solaire (4,567 milliards d’années à 1 million d’années près), ou ceux des planètes sont dues à l’étude des météorites.

La majorité des météorites composées de fer proviendraient d’astéroïdes de type M. Ils sont modérément brillants et la plupart sont composés de nickel-fer. Le plus grand astéroïde de type M, Psyché, serait métallique. Ce dernier doit être survolé et étudié en 2026 par la sonde Psyché qui sera lancée en 2022 par la NASA.

Dans le cadre de la préparation de cette mission d’exploration américaine, l’équipe scientifique et pluridisciplinaire du projet Hypie ambitionne de mieux comprendre la formation de ces corps rocheux métalliques et les propriétés de leurs surfaces. L’expertise acquise sur ce sujet permettra aux membres concernés de devenir des partenaires privilégiés de la NASA pour la mission Psyché.

Développer des connaissances uniques sur les astéroïdes riches en métaux 

La connaissance des astéroïdes riches en métaux est encore très pauvre à ce jour. Un pas de géant sera accompli en 2026 avec la visite de Psyché, astéroïde mesurant 250 km de diamètre. Cependant, cette mission d’exploration pose sur un défi supplémentaire par rapport aux autres petits corps planétaires étudiés in situ. C’est la première fois qu’un astéroïde métallique sera visité. Afin que les astrophysiciens de la NASA soient en mesure d’identifier ces corps métalliques évoluant entre les orbites de Mars et de Jupiter, les chercheurs du projet ont simulé en laboratoire et sur ordinateur des expériences de collisions à très grande vitesse.

Ces études expérimentales sont menées avec des échantillons de matériaux dont la composition minéralogique est semblable à celle des astéroïdes de fer.

Dans un premier temps, pour mieux anticiper ce à quoi pourrait ressembler les surfaces de ces corps célestes métalliques, l’équipe a mené une série d’expériences à l'Institut des sciences spatiales et astronautiques de la JAXA à Tokyo au Japon.

Image au microscope électronique à balayage en électrons rétrodiffusés d’un cratère résultant d’un impact hyper-véloce (5.08 km/s) d’un projectile basaltique sur un morceau de Gibeon, une météorite de fer utilisée comme cible
Image au microscope électronique à balayage en électrons rétrodiffusés d’un cratère résultant d’un impact hyper-véloce (5.08 km/s) d’un projectile basaltique sur un morceau de Gibeon, une météorite de fer utilisée comme cible
Concrètement, il s’agit de procéder à des impacts hyper-véloces de 3 à 7 km/s sur des cibles semblables à des astéroïdes riches en métaux avec des projectiles rocheux. Les échantillons cibles sélectionnés sont des météorites évidemment riches en fer, et plus précisément des sidérites. Ces expériences se sont déroulées sous vides (<10 Pa) à l'aide d'un canon à gaz léger à deux étages de 7 mm de diamètre.

Des projectiles sphéroïdaux et cylindriques d'environ 3 mm de diamètre ont été ainsi tirés aux vitesses moyennes (≈ 5 km/s) des collisions survenant dans la ceinture principale d'astéroïdes sur la surface de la cible. Les trajectoires des projectiles et des éjectas ont pu être capturées par une caméra vidéo haute vitesse (fréquence d'images de 2 ou 4 ms) qui surveillait l'expérience.

L’objectif de ces expériences est de reproduire, en laboratoire, l’évolution des surfaces de ces astéroïdes depuis leur naissance dans la ceinture principale d’astéroïdes sous l’effet d’impacts et de collisions très violentes et rapides à près de 25000km/h.

Par la suite, les cibles, les cratères et leur revêtement ont été analysés à l'aide de microscopes électroniques à balayage pour obtenir des informations détaillées.

Simuler pour mieux comprendre les surfaces de ces mondes métalliques 

Suite aux expériences réalisées en laboratoire plusieurs données ont pu être identifiées et quantifiées.  Par exemple, la forme, la profondeur et le revêtement des cratères sur les cibles de sidérites, ainsi que la composition du fond du cratère. Ces caractéristiques issues des dommages causés sur les cibles servent de paramètres d'entrée pour la simulation numérique de ces impacts hypervitesses.

La seconde étape clé du projet Hypie consiste en effet à reproduire virtuellement des formations de cratères dûs à des impacts à hypervitesse, l’endommagement crée par ces impacts ainsi que la nature et la quantité des éjectas produits. Ce type de modélisation numérique est crucial pour permettre d’extrapoler ces expériences aux conditions naturelles, notamment en prenant en compte les facteurs d’échelle, de quelques millimètres pour les expériences alors que les cratères d’impacts peuvent atteindre plusieurs centaines de mètre.

Cette approche permettra en outre d’être en capacité d’interpréter de manière optimale les informations qui seront récoltées sur les cratères lors de la prochaine mission de découverte de la NASA, Psyché.

Des résultats de recherche hautement visibles pour Université Côte d'Azur (UCA)

Les expériences effectuées à Tokyo en collaboration avec les collègues japonais ont permis de se faire une idée sur les paysages de ces corps célestes riches en fer résultant de multiples épisodes de collision depuis leur formation.

Ainsi, des enchevêtrements d’amas de métal aux angles aiguisés, des plaines d'acier mitraillées par endroit, ou encore de grandes étendues couvertes d’un verre noir incrusté de brillantes pépites crées par le mélange de silicates et de métal attendraient les astrophysiciens de la mission Psyché en 2026.

Vue au microscope électronique d'un nappage de verre résultant de l'impact d'une bille de basalte sur une météorite ferreuse. Image colorisée de 250 microns de large.
Vue au microscope électronique d'un nappage de verre résultant de l'impact d'une bille de basalte sur une météorite ferreuse. Image colorisée de 250 microns de large.
Grâce à la collaboration engagée de plusieurs sciences et notamment celle des matériaux, du numérique et de l'astrophysique, une meilleure identification de ces météorites sera désormais possible.

L’implication de ces résultats sont primordiaux pour contribuer à la préparation de la mission de la NASA et accroît dans le même temps la visibilité d’Université Côte d’Azur. D’ailleurs, les membres du projet Hypie sont actuellement en contact avec la chercheuse américaine et principale de la mission Psyché de la NASA, Lindy Elkins-Tanton (ASU).  

Au-delà des connaissances développées sur ces astéroïdes, cette étude expérimentale a aussi été l’occasion de faire une avancée scientifique notable en levant le voile sur le mystère du déficit des astéroïdes riches en fer au sein de la ceinture d’astéroïdes.

Les observations astronomiques de la ceinture principale d’astéroïdes entre Mars et Jupiter révèlent en effet que leurs progéniteurs, les corps parents riches en fer dont elles ont été extraites sont rares, montrant même une carence par rapport à l'abondance relative des météorites de fer. Les corps parents de ces météorites avaient-ils été détruits ou bien étaient-ils indétectables ? Les chercheurs d’Université de Nice Côte d’Azur[1] et de l’Université de Kobé[2] en collaboration avec des équipes de l’Université de Grenoble[3] et des Mines Paris Tech[4], ont démontré que le déficit d’astéroïdes riches en fer est simplement un leurre.

Ces corps parents sont en réalité difficilement détectables car ils possèdent une sorte de tenue de camouflage sur leur surface. Ainsi, les astéroïdes de fer se dissimuleraient grâce à la présence d’un nappage de roches silicatées fondues de surface résultant de collisions à très haute vitesse avec d’autres corps célestes (astéroïdes, projectiles rocheux). Ce vernissage modifierait alors la composition de surface ne facilitant pas leur identification par les moyens d’observations astronomiques classiques notamment.

  • Plus d'information :

Article disponible sur le lien suivant : https://advances.sciencemag.org/content/5/8/eaav3971

G. Libourel, A. M. Nakamura, P. Beck, S. Potin, C. Ganino, S. Jacomet, R. Ogawa, S. Hasegawa, P. Michel, Hypervelocity impacts as a source of deceiving surface signatures on

iron-rich asteroids. Sci. Adv. 5, eaav3971 (2019).

[1] Observatoire Nice Côte d’Azur, UMR Lagrange et GeoAzur

[2] Institut des sciences spatiales et astronautiques – Japon

[3] Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble

[4] Mines ParisTech de Sophia-Antipolis

Fig. 1: Image au microscope électronique à balayage en électrons rétrodiffusés d’un cratère résultant d’un impact hyper-véloce (5.08 km/s) d’un projectile basaltique sur un morceau de Gibeon, une météorite de fer utilisée comme cible et simulant la surface d’un astéroïde riche en fer. L’aspect sombre est lié au nappage du fond du cratère par d’un verre d’impact silicaté, initialement liquide au moment de l’impact.

Fig. 2 : Vue au microscope électronique d'un nappage de verre résultant de l'impact d'une bille de basalte sur une météorite ferreuse. Image colorisée de 250 microns de large. Crédit : LIBOUREL ET AL., SCI. ADV. 2019.