"SCALUP", modéliser et prédire la propagation spatiale des trichogrammes à grande échelle.

Pour inscrire l’agriculture dans une perspective de développement durable, des moyens de protection des cultures alternatifs renaissent. C’est le cas avec la lutte biologique, une méthode qui se base notamment sur l’utilisation de prédateurs naturels pour protéger les plantes cultivées sans pesticides. Un procédé a fait ses preuves à grande échelle avec l’emploi massif de trichogrammes. Ce sont des micro-guêpes qui détruisent les populations de pyrale, un insecte ravageur de champs de maïs. Le projet SCALUP vise à poursuivre les recherches sur les dynamiques de mouvement et de propagation de plusieurs souches de trichogrammes. Pour cela, les biologistes et biomathématiciens investis ici s’appuient sur une approche de physique statistique. Avec cette démarche, les chercheurs étudient l’influence du comportement individuel d’une micro-guêpe sur le fonctionnement global d’un groupe. Au-delà d’étendre nos connaissances sur ces organismes prédateurs, les scientifiques ambitionnent aussi de perfectionner leur utilisation sur les exploitations agricoles.

Le biocontrôle, ou comment utiliser la nature pour contrer ses propres méfaits

Les insectes ravageurs de cultures sont des espèces nuisibles pour l’agriculture. Ils représentent une menace sérieuse pour la production de denrées alimentaires. Pour limiter leur nuisance, les pesticides se sont révélés être des outils efficaces, mais aujourd’hui, leur utilisation systématique est remise en question. Face à une prise de conscience croissante des risques qu'ils peuvent générer sur notre santé et notre environnement, des alternatives tout aussi efficientes et plus respectueuses de l’environnement reviennent sur le devant de la scène.

Dans le domaine agricole, le biocontrôle connait actuellement un essor. Il regroupe l’ensemble des moyens qui utilisent des organismes vivants (champignons) ou des substances naturelles (phéromones) pour défendre les végétaux de ses ennemis.

L’une des méthodes de biocontrôle la plus rependue est la lutte biologique. Cette dernière consiste, en autre, à faire usage de prédateurs naturels, appelés les auxiliaires, pour attaquer des ravageurs de cultures. A ce titre, les membres du projet SCALUP se penchent sur l’étude d’un des plus petits insectes connus à ce jour, et qui est devenu l’un des auxiliaires les plus utilisés pour défendre les plantes cultivées : le trichogramme.

Les trichogrammes, ces insectes stars de l’agroécologie

SCALUP étudie l’un des candidats les plus prometteurs pour réduire notre dépendance aux pesticides dans les décennies à venir, les trichogrammes.


Ce sont des guêpes quasi-invisibles, mesurant moins d’un demi-millimètre de long. Elles ne savent pas voler, sont dépourvues de dard, et ne vivent que quelques jours. Pourtant, ce sont des stars de l’agroécologie en raison de leur particularité. Les femelles trichogrammes sont des insectes parasitoïdes, autrement dit, de véritables prédatrices qui se développent à l’intérieur d’un hôte.

La courte vie de ces minuscules guêpes est effectivement rythmée par la recherche d’hôtes à parasiter
. Cette chasse s’effectue de manière générale à la marche sur un végétal. Au cours de son déplacement, la femelle micro-hyménoptère perçoit divers signaux (olfactifs, gustatifs, et/ou visuels) lui permettant de trouver des œufs. Une fois sa victime repérée, elle pond son œuf à l’intérieur de celui-ci, et principalement dans les œufs de la pyrale, un papillon ravageur de culture de maïs.

Deux femelles trichogrammes (espèce T. cordubensis) en train de parasiter des petits œufs de papillon
Deux femelles trichogrammes (espèce T. cordubensis) en train de parasiter des petits œufs de papillon Deux femelles trichogrammes (espèce T. cordubensis) en train de parasiter des petits œufs de papillon (crédit photo : Mélina Cointe; 2020)

La larve parasitoïde se développe alors à l’intérieur de l’œuf en tuant l’embryon très tôt, puis en mangeant ses tissus désintégrés et son vitellus[1]. Après 15 jours, au lieu d’une chenille c’est un nouveau trichogramme qui voit le jour. Produites en masse et relâchées par centaines de milliers dans les cultures, ces insectes parasitoïdes peuvent ainsi éradiquer une autre population d’insecte appelée les ravageurs. 

La physique statistique : un outil pour appréhender les populations de trichogrammes

L’objectif de ce projet est de mieux comprendre comment se déplace et se propage certaines espèces[2] de trichogrammes sur un territoire à grande échelle. Toutefois, la minuscule taille de ces hyménoptères[3] empêche leur observation et leur suivi sur une exploitation agricole.  

Pour relever ce challenge, une collaboration s’est engagée entre des biologistes d’Université Côte d’Azur et des biomathématiciens du Flatiron Institute[4] et de l’Université Heriot-Watt[5]. Pour contourner la difficulté à ne pouvoir examiner à l’œil nu les mouvements de ces micro-organismes sur le terrain, l’équipe de SCALUP adopte des méthodes propres à la physique statistique. Une des forces de cette discipline est d’expliquer un comportement macroscopique (observable à l’œil nu) à partir de propriétés microscopiques (invisible à l’œil nu).

Dans un premier temps, les chercheurs vont exploiter les résultats expérimentaux sur les mouvements et les comportements des trichogrammes à échelles individuelles et microscopiques obtenus par le biologiste Vincent Calcagno. C’est à l’Institut Sophia Agrobiotech et accompagné de son équipe que ce dernier a mis au point de nouveaux procédés de suivi photo/vidéo haute-définition. Ces techniques de surveillance pointues sont implantées dans de petites arènes expérimentales pour mieux observer et capturer les trajectoires des micro-hyménoptères à la recherche d’œufs à parasiter. 

Dans un second temps, les stratégies de déplacement étudiées en laboratoire seront traduites par des modèles théoriques. Le but est de généraliser les comportements individuels observés à un groupe.

Ainsi, les biomathématiciens vont décrire une marche aléatoire d'un trichogramme à petite échelle spatiale et à court horizon temporel. Ensuite, ils déduiront le mouvement pour plusieurs individus qui se déplaceraient sur un laps de temps plus grand et sur de plus grandes distances

Les modèles mathématiques mettront en lumière le fonctionnement global de certaines espèces de trichogrammes à partir de l’impact des interactions individuelles sur le groupe.

Développer l’axe de recherche « Biocontrôle » à Université Côte d’Azur (UCA)

Avec SCALUP, l’un des enjeux des chercheurs est d’aboutir à une meilleure description du comportement collectif et à grande échelle de certaines souches des petits hyménoptères.

A défaut de pouvoir observer directement l’organisation singulière et ordonnée des populations de trichogrammes au sein d’un écosystème, les scientifiques optent donc pour une approche propre à la physique statistique.

Ils considèrent que le mouvement populationnel des micro-guêpes est la résultante des mouvements individuels. L’étude approfondie de ces prédateurs naturels sur leur mode de déplacement et leur manière de se répandre renforce un axe de recherche prometteur au sein d’Université Côte d'Azur : le Biocontrôle.

Tout d’abord car la protection des cultures est essentielle pour produire notre alimentation.  Ensuite, car la solution opérationnelle à base de Trichogrammatidae est l’une des rares à assurer une protection de biocontrôle efficace en grandes cultures. 

SCALUP ambitionne également de participer à l’amélioration de l’usage du biocontrôle sur le territoire français.  Cette initiative de recherche vise effectivement à proposer aux agriculteurs un agent de lutte biologique toujours plus efficace et simple à mettre en œuvre pour protéger leurs champs. 

Pour ce faire les membres impliqués se penchent sur les performances de parasitisme de plusieurs espèces de trichogrammes dans le but d’anticiper leur puissance d’action à supprimer des ravageurs de cultures.

Etant donné que la petite taille de ce parasitoïde rend impossible toute expérience grandeur nature, la simulation numérique est indispensable pour effectuer ce travail d’analyse prédictive. L’ensemble des fonctions mathématiques décrivant les trajectoires de certaines populations de trichogrammes à grande échelle seront ainsi modifiées par des variables (paramètres) pour simuler des changements.

Les résultats théoriques donneront lieu à des prévisions sur l’efficacité de parasitisme à grande échelle de certaines souches. Par la suite, ces prédictions numériques seront testées sur le terrain pour perfectionner la lutte biologique contre les insectes qualifiés de nuisibles.

Légende photo : une femelle trichogramme parasitant des œufs de pyrale du maïs © Bioline Agrosciences.


[1]Le vitellus constitue les réserves énergétiques utilisées par les embryons durant le développement embryonnaire. Il est produit par l'organisme maternel et s'accumule dans l'ovocyte au cours de l'ovogenèse.

[2] Actuellement environ 200 espèces de micro-hyménoptères chalcidiens de la famille des Trichogrammatidae sont recensés.

[3]Les trichogrammes sont des micro-hyménoptères chalcidiens de la famille des Trichogrammatidae.

[4]Aleksandra Plochocka (Ph.D), chercheuse conjointe au Center for Computational Biology et au Center for Computational Mathematics, Flatiron Institute, New York.

[5]Professeur Kevin Painter au Department of Mathematics & Maxwell Institute, Heriot-Watt University, Edinburgh, Scotland.