Quentin Bletery, décroche une ERC !
Les bourses ERC Starting Grants : des financements consacrés à de jeunes chercheurs
En septembre 2020, le Conseil Européen de la Recherche (European Research Council - ERC) a publié la liste de ses lauréats pour les bourses ERC Starting Grants. Ces subventions substantielles - jusqu’à 1,5 millions d’euros - sont destinées à de jeunes chercheurs en début de carrière pour leur permettre de monter un groupe de recherche autour d’un projet prometteur. Quentin Bletery, chargé de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) au sein de l’équipe SEISME du laboratoire Géoazur, a été distingué pour son projet EARLI : « detection of EArly seismic signal using ARtificiaL Intelligence ».Avant d’être lauréat d’une bourse ERC, Quentin Bletery, s’est forgé un parcours à l’étranger, et notamment aux Etats-Unis :
« J’ai réalisé mon stage de fin d’études (école d’ingénieur en géophysique) dans un laboratoire étranger à Caltech en Californie. J’ai été formé à la recherche là-bas, et j’y suis finalement resté 1 an et demi. J’ai travaillé sur l’imagerie de la rupture de grands séismes à partir de données géodésiques (GPS) et sismologiques. Ensuite, j’ai continué en thèse sur le même sujet mais à Nice, au laboratoire Géoazur. »
Durant sa thèse, le géophysicien a étudié deux séismes majeurs : celui qui s'est produit au large du Japon en 2011. Ce séisme de magnitude 9.0 avait provoqué un tsunami responsable de l’accident nucléaire de Fukushima. Puis, le tremblement de terre de magnitude 9.3 survenu en 2004 au large de Sumatra qui a également provoqué un immense tsunami en Indonésie.
« C’est le plus long séisme jamais enregistré sur Terre. Il a duré 10 minutes ! »
Son doctorat en poche, le jeune chercheur repart aux États-Unis et se penche sur des séismes d’une tout autre nature :
« En 2016, j’intègre l’Université d’Oregon pour faire mon postdoc. Je concentre alors mes recherches sur des séismes encore inconnus il y une vingtaine d’années : les « Slow Slip Events » (SSE), également appelés séismes lents. »
Ces « séismes » sont des mouvements lents des plaques tectoniques et peuvent se prolonger sur plusieurs jours ou plusieurs mois :
« A la différence des grands séismes qui ne durent que quelques minutes, les séismes lents sont imperceptibles car ils ne génèrent pas d’ondes sismiques. »
Monter son projet ERC : un challenge scientifique et personnel
Deux ans après avoir soutenu sa thèse, Quentin Bletery tente de décrocher une subvention ERC alors qu’il est encore en postdoc à l’Université d’Oregon :« Soutenu par l'IRD, je postule à l'appel ERC Starting Grant 2018 avec le projet EarthS3Fault. »
Ce projet aborde une problématique scientifique majeure : Comment prédire la localisation et la magnitude des prochains grands tremblements de terre ? Pour ce faire, le jeune chercheur opte pour la modélisation numérique.
Avec cette approche, son objectif est de mettre en lumière les « lois physiques » à l’origine des grands tremblements de terre sur certaines failles existantes. Quentin Bletery repart bredouille cette année-là, mais réussit néanmoins à passer la phase d'entretien.
« Pour les jurys, la méthodologie proposée était trop simpliste. Elle ne permettait pas de simuler de manière réaliste l’ensemble des processus complexes et sous-jacents à l’origine des séismes pour pouvoir établir des prédictions par la suite. »
Fort de cette première expérience de candidature, un autre projet mûrit : EARLI. Tout comme la proposition initiale soumise à l’ERC en 2017, EARLI, vise à anticiper l’arrivée des prochains grands séismes :
« Le graal pour un chercheur dans mon domaine serait de réussir à prédire où et quand se produiront les prochains grands séismes. En effet, bien que ces évènements rythment la vie humaine depuis toujours, on ne sait pas les prévoir. Ils tuent régulièrement des centaines de milliers personnes qui pourraient être épargnées si l’on savait les anticiper suffisamment tôt pour évacuer la population. »
Dans les pays à risque, des systèmes d’alerte sismique et tsunami (délivrés principalement par SMS) existent pour prévenir les populations de l’imminence d’un évènement sismique. Cependant, leur vitesse et leur fiabilité sont limitées :
« Le problème de ces systèmes est qu’ils ne se déclenchent qu’à partir du moment où les premières ondes sismiques se sont déjà propagées, soit quelques minutes avant l’arrivée des secousses les plus fortes. De plus, ces systèmes ont beaucoup de mal à faire la différence entre un séisme de magnitude 9 et un séisme de magnitude 7. »
Cette difficulté à anticiper l’échelle exacte d’un grand séisme s’explique par le fait que les premières secondes d’enregistrement sont très semblables pour un évènement de magnitude 9 ou 7.
« Or, être en mesure d’informer avec précision la magnitude d’un grand tremblement de terre est primordiale. Non seulement pour prévenir les dégâts matériels mais aussi pour prévenir la taille d’un éventuel tsunami à venir. »
Pour mieux anticiper les dommages causés par ces évènements naturels, Quentin Bletery adopte une nouvelle approche dans le projet EARLI : le Machine Learning (une branche de l’intelligence artificielle).
« Afin de répondre aux réserves des examinateurs et des groupes d’experts sur la méthodologie proposée lors de l’appel précédent, j’ai décidé de revoir ma méthodologie et d’utiliser tout le potentiel du Machine Learning. »
EARLI : un travail de recherche à fort impact sociétal
Même si aujourd’hui il est impossible de prédire la date et l’heure d’un séisme, des systèmes d’alerte existent. Ils sont déclenchés dès que les premières ondes sismiques atteignent les capteurs les plus proches de l'épicentre, donnant quelques secondes aux habitants des villes alentours pour se préparer aux secousses. EARLI explore la faisabilité d'un système d'alerte précoce des séismes basé, non pas sur les ondes sismiques, mais sur un signal qui les précède, appelé « PEGS » (Prompt Elasto-Gravity Signal). Pour être en mesure d’identifier ce signal, l’équipe du projet va s’appuyer sur le Machine Learning. Cette technologie est capable de répondre à des problématiques complexes qu’un cerveau humain ne pourrait pas résoudre grâce à l’utilisation d’algorithmes d ’apprentissage. Ces algorithmes sont nourris par la masse de données (Big Data) représentatives du problème que l’on cherche à résoudre. Ainsi, tel un algorithme programmé pour détecter certains visages depuis des images en provenance d’une caméra, l’algorithme d’EARLI sera programmé pour repérer le signal « PEGS ».
Récemment découvert, ce signal a la particularité de se déplacer à la vitesse de la lumière, soit plus rapidement que les ondes sismiques. Il serait donc possible de prévenir, plus en amont, une population de l’arrivée d’un séisme grâce à la détection de ce signal.
D’autre part, le signal de très faible amplitude émis par les « PEGS » possède un atout supplémentaire : il est très sensible à la magnitude des séismes. Ainsi, en basant les systèmes d’alerte sur l’enregistrement de ce signal, une prévision plus rapide et plus précise de l’évènement sismique serait délivrée.
Pour l’équipe d’EARLI, le défi consiste à développer un algorithme de Machine Learning apte à identifier ces « PEGS ».
L’algorithme devra en déduire quasi-instantanément une estimation de la magnitude et de la localisation du séisme. Ces estimations ultra-rapides pourraient être d’une importance cruciale pour activer des procédures de sécurité adéquates (arrêt des trains, etc.).
« En termes d’alerte, chaque seconde de gagnée peut avoir un grand impact sur la préservation des vies humaines. EARLI vise à délivrer plus rapidement une alerte, mais aussi à avoir une estimation plus rapide et plus fiable de la magnitude d’un tremblement de terre. Grâce à la bourse d’1,5 million d’euros de l’ERC, 6 chercheurs juniors (4 postdocs et 2 doctorants) m’ont rejoint pour mettre en route ce projet. »
Les membres du projet EARLI ne visent pas seulement à améliorer les dispositifs d’alerte aux séismes et aux tsunamis pour minimiser les pertes humaines et les dégâts matériels :
« Dans un second volet, le projet prévoit d’explorer la possibilité de prédire plusieurs minutes, heures ou même jours un grand tremblement de terre avant qu’il ne se produise. »
A la différence des prévisions météorologiques, nous n’avons pas de prévision utilisable pour les séismes. Nous savons que notre planète, la Terre, présente des zones sismiques à risque sur lesquelles des probabilités d'apparition de séismes sont évaluées.
Par exemple, il y a 20 % de chances qu’un séisme de magnitude 7,5 ait lieu dans la région de San Francisco (Californie) d’ici les 30 prochaines années. Les algorithmes de Machine Learning pourraient être un outil de prédiction plus fiable que les traitements probabilistes pour anticiper sur le long terme ces évènement naturels.
A ce titre, Quentin Bletery, programme d’adapter les algorithmes développés pour les « PEGS » pour leur demander de détecter des signaux précurseurs de grands séismes.
Pour ce faire, l’algorithme scrutera, en continu, les données de sismomètres enregistrant les vibrations du sol. Grâce aux données collectées, de nouveaux signaux encore plus précoces, précédant l’initiation des séismes pourraient être décelés.
Cet objectif est extrêmement ambitieux car l’existence de tels signaux est hypothétique.
Interview réalisée par l’académie des "Systèmes Complexes" le 7 septembre 2020.
EARLI, projet hébergé par l'IRD, avait bénéficié d’un financement de 5k€ de l’Académie "Systèmes Complexes" en 2018 dans le cadre de l’AAP « Tremplin Complex ». Cet appel vise à soutenir des travaux de recherches de haut niveau, innovants et transdisciplinaires susceptibles de répondre avec succès à des appels d’offres européens et internationaux, tels que les ERC, et plus généralement les offres du programme H2020. L’allocation Idex octroyée par l’Académie "Systèmes Complexes" à Quentin Bletery lui a permis de consolider son réseau de recherche en prenant en charge ses déplacements et ses séances de travail qu’il organisait avec ses futurs partenaires. Le géophysicien a ainsi pu rencontrer Bertrand Rouet Le Duc, un expert en Machine Learning au Los Alamos National Laboratory (Etats-Unis). A la suite de cette collaboration, le projet EARLI a pu être rédigé et soumis à l’ERC Starting Grant 2020. |
Le communiqué de l’ERC
https://erc.europa.eu/news/StG-recipients-202