"BIOVIT", Vitrimères durables, écologiques, recyclables et retraitables pour une économie circulaire

Le programme de recherche BIOVIT vise à produire de nouveaux matériaux durables et respectueux de l’environnement en vue de trouver une alternative aux résines époxy classiques. Ces dernières, indispensables au secteur industriel du fait de leurs excellentes propriétés thermomécaniques, sont en majorité conçues à partir de dérivés du pétrole et de Bisphénol A. L’objectif de ce projet est de développer des résines « vertes », retraitables et recyclables, issues de ressources renouvelables, pour des applications durables. Pour réussir dans cette entreprise, chimistes et physiciens prévoient de s’appuyer sur un matériau révolutionnaire, les vitrimères.


Les résines époxy

De par leurs nombreuses qualités, les résines époxy sont des produits synthétiques qui occupent une place à part. En effet, ces matériaux possèdent d’excellentes propriétés de résistance, d’adhérence, de rigidité, d’isolation, et d’étanchéité.

A l’origine, les premiers époxy étaient des solides de couleur ambre puis, par la suite ils ont été essentiellement commercialisés sous la forme d'adhésifs. Aujourd'hui, on recense plus d’une cinquantaine de substances différentes, connues comme résines époxy, qui se retrouvent dans un large panel d'applications.

Les résines époxy
sont ainsi employées par le secteur industriel en tant que matériau de structure, pour servir de matrice en vue de concevoir des matériaux composites (pour applications navales ou aéronautiques : en combinaison par exemples avec fibres de carbone, etc.), ou de surface (revêtement, adhésif, etc.).

On les retrouve donc dans le domaine de la navigation et des transports car elles entrent dans la fabrication des avions, des fusées, des centres spatiaux, des carrosseries de voitures et des coques de bateaux.

Les résines époxy sont également présentes dans la composition des skis, des raquettes, des planches à voiles ou des clubs de golf. L'intérieur des cannettes et des contenants de boissons peuvent être enduits de résine époxy. Cette résine se retrouve dans les composants informatiques, les circuits imprimés mais aussi dans des installations électriques et des appareils électroménagers.

L’industrie pétrolière ne fait pas exception et utilise aussi ces résines dans de très nombreuses applications pour leurs propriétés particulières, comme leur faible poids, leur résistance à la corrosion ou leur caractère adhésif.

Ces résines présentes tout autour de nous font partie d’une classe de matériau nommée les polymères.[1]

D’un point de vue chimique, un polymère est une substance chimique constituée d'une multitude de grosses molécules, les macromolécules, pouvant contenir plusieurs milliers, voire des dizaines de millions d’atomes.


Pour obtenir un polymère, il faut assembler de multiples unités organiques nommées les monomères. Les monomères sont des composés constitués de molécules simples (oléfines, sucres, alcools, acryliques, isocyanates, époxydes, etc.) capables de réagir entre elles pour former un polymère.

Les résines époxy sont des polymères
appartenant à la classe des thermodurcissables. Elles sont obtenues à la suite d’une réaction chimique, appelée réticulation, entre un monomère époxyde[2] et un durcisseur, sous l’action de la chaleur.

Cette réaction de polymérisation tridimensionnelle, réticulation,[3]
a la particularité d’être un procédé de transformation irréversible. Les matériaux thermodurcissables, applicables dans de nombreux secteurs industriels, sont malheureusement difficilement recyclables.


Des résines difficiles à recycler et polluantes

La plupart des polymères synthétiques, tels que les résines époxy, sont fabriquées à partir de produits industriels dérivés du pétrole. Plus précisément, les résines époxy sont généralement produites à partir de monomères époxydes,2 eux-mêmes obtenus par une réaction entre deux substances chimiques dérivées du pétrole, l’épichlorhydrine (ECH) et le bisphénol-A (BPA).

La substance chimique issue de cette réaction, l’éther diglycidyle de bisphénol A,
est une résine de faible masse moléculaire plus connue sous l’appellation BADGE ou DGEBA.

Le mélange
de cette dernière avec un agent durcisseur (sous l’action de la température, UV, etc.) entraine une réaction de réticulation3 et aboutit à la formation de résines époxy. Actuellement, les résines à base de BADGE sont les résines époxy les plus vendues.

Ainsi, la majorité des résines époxy sont issues de ressources fossiles.
De surcroît, leur préparation nécessite l’utilisation du bisphénol A (BPA), qui en plus d’être un composé dérivé du pétrole est aussi actuellement très décrié compte tenu de sa toxicité.

Le bisphénol A (BPA)
est un composé organique de la famille des aromatiques, utilisé depuis plus de 50 ans dans la fabrication de plastiques et de résines. Cependant, depuis quelques années, de nombreuses publications alertent sur la toxicité du BPA sur l’homme, le nourrisson et l’animal. Suspecté d'être un perturbateur endocrinien, ce composé a notamment été interdit pour la fabrication des biberons en France, en 2011. 

Au vu des incertitudes concernant les effets potentiels du bisphénol A, la conception des résines époxy à partir de ce composé pose des problématiques sanitaires.


Par ailleurs, les résines époxy sont des polymères thermodurcissables, soit rigides et solides. Ces matériaux sont insolubles, ils ne peuvent ni être remodelés, ni être recyclés.

En fin de vie, les résines époxy sont traitées comme un déchet non recyclable et donc incinérées, ce qui soulève des problématiques environnementales et en font un matériau relativement couteux.


En vue de développer une alternative aux résines époxy plus respectueuse pour la santé et pour l’environnement, une équipe d’enseignants-chercheurs (Professeures et Maître de Conférences) s’est constituée à Université Côte d’Azur à travers le projet BIOVIT.

Ainsi, des chimistes issues de l’Institut de Chimie de Nice (ICN) et des physicien(ne)s du Centre de mise en forme des matériaux (Cemef) proposent de concevoir de nouveaux matériaux, dotés des mêmes performances que celles des résines fabriquées à base de Bisphénol A, mais élaborées à partir de ressources renouvelables, non toxiques, et recyclables.

Ces nouveaux polymères « verts » répondraient à une préoccupation majeure de notre société qui doit faire face à l’épuisement des ressources fossiles.


BIOVIT, un projet engagé vers la conception de résines « vertes »

Pour parvenir au développement de nouveaux matériaux durables, recyclables et retraitables, le projet BIOVIT s’appuie sur un matériau découvert en 2012, appelé vitrimère.

Les vitrimères
sont une nouvelle catégorie de matériaux organiques légers et résistants. A la différence des résines époxy thermodurcissables, une fois durcis, les polymères peuvent être remoulés comme le verre et donc réutilisables.

Le vitrimère se montre ainsi recyclable et permet de produire un nouveau objet, pièce ou matériau aux propriétés similaires.

Grâce aux vitrimères, des matériaux composites aux propriétés intéressantes pourraient donc être produits, à la fois peu coûteux et susceptibles d'être fabriqués à partir de déchets de plastiques.

Partant de ce constat, le projet BIOVIT ambitionne d’élaborer des vitrimères biosourcés.[4]
Pour ce faire, l’équipe prévoie de s’appuyer sur des procédés de chimie verte afin de réduire, voire d'éliminer, l'utilisation et la synthèse de substances dangereuses, telle que le bisphénol A.

Les chercheurs prévoient d’aller encore plus loin en combinant les substances naturelles à des durcisseurs également biosourcés, soit fabriqués à partir de matières d’origine biologique, et non toxiques.

Pour réussir dans cette entreprise, trois grandes étapes de travail sont prévues.


La première étape du programme de recherche consiste à synthétiser des composés, appelés monomères époxydes, à partir de ressources renouvelables et donc exempts de bisphénol A.

Une molécule pressentie pour se substituer au bisphénol A serait par exemple le limonène, un composé (déchet) organique que l’on retrouve notamment dans les oranges, les citrons, les mandarines, et autres agrumes.


D’autre molécules comme des terpènes ou des dérivés du furfural comme le acide 2,5-furane dicarboxylique (FDCA)[5] sont également à l’étude.

Dans cette première phase, tout l’enjeu du travail repose sur la mise en place de protocoles de synthèses robustes des monomères époxydes (ou substances) organiques.

La prochaine étape repose sur des tests consistant à combiner les nouveaux monomères époxydes synthétisés à des durcisseurs, eux aussi, biosourcés fonctionnels pour obtenir de nouveaux des vitrimères 3R, autrement dit, réparables, retraitables et recyclables.

Enfin, la dernière étape prévoit l’analyse des propriétés de ces nouveaux matériaux ainsi que l’évaluation de leur recyclabilité, de leur réparabilité et de leur reproductibilité.

Ces nouveaux types de vitrimères ou biopolymères pourraient être envisagés pour des applications telles que les films biocompatibles, les emballages alimentaires ainsi que les matrices structurelles biosourcées et respectueuses de l'environnement.


Développer la chimie verte à Université Côte d’Azur (UCA)

S’engager dans le développement d’une « chimie verte », d’un développement durable et d’une industrie durable est un enjeu à fort potentiel pour Université Côte d’Azur.

En effet, les acteurs de la chimie se heurtent à de plus en plus de contraintes :
forte pression réglementaire visant à restreindre l’utilisation de substances toxiques, tensions liées à l’utilisation de matières premières fossiles (émission de carbone d’origine fossile, volatilité des prix).

L’industrie chimique doit répondre aux besoins de la société tout en limitant son impact écologique. Le monde de la recherche est très actif pour faire face à ces contraintes grâce au développement de solutions vertes, de procédés chimiques plus respectueux de l’environnement, de l’utilisation de composés de substitution, issus de ressources renouvelables et non toxiques.

L’émergence d’un pôle de compétences autour d’une chimie durable et des polymères biosourcés via le projet BIOVIT est une opportunité pour permettre à Université Côte d’Azur de se positionner en tant qu’acteur de la scène internationale dans ce domaine de recherche.

Le projet BIOVIT
permet de structurer des compétences et des expertises déjà présentes au sein de l’établissement et de les orienter autour du thème de l’industrie des polymères biosourcés.

Une place visible et reconnue à l’échelle locale, nationale et internationale
dans ce domaine permettra à Université Côte d’Azur de tisser des liens avec des acteurs de l’industrie chimique.
 
L’Académie Systèmes Complexes, en partenariat avec l’Académie « Espace, Environnement, Risques et Résilience », soutient le projet BIOVIT, prometteur aussi bien du point de vue des résultats escomptés en chimie qu’au niveau des perspectives environnementales qu’il offre. L’Académie octroie ainsi 31k€ pour gratifier 3 stagiaires, partir en missions, et acheter du petit matériel.

A noter que le projet BIOVIT a obtenu, en 2020, un co financement de la Région PACA s’élevant à 48.700€.

[1] Le terme polymère désigne un assemblage organique de masse moléculaire, constitué d'un enchaînement de petites unités appelées monomères, la liaison entre ces petites unités se faisant par des liaisons chimiques covalentes.
[2] Le terme époxyde désigne le nom générique d’un éther cyclique avec l’élément central du cycle assuré par un atome d'oxygène.
[3] Le terme réticulation désigne le passage d'un polymère d'un état linéaire et peu ramifié à un état tridimensionnel avec des liaisons chimiques (appelées ponts) entre les différentes chaînes macromoléculaires, créant ainsi un réseau très complexe et induisant des propriétés physico-chimiques remarquables.
[4] Le terme biosourcé se dit d’un produit ou matériau fabriqué avec de la matière première issue de la biomasse.
[5] Substituant potentiel de l'acide téréphtalique, monomère de polyesters et polyamides, issu du pétrole