"WAVECOMPLEXITY", une initiative tournée vers l’émergence d’une nouvelle communauté scientifique

Directeur de recherche CNRS au sein du laboratoire INPHYNI, Stéphane Barland, co-pilote au sein d’un consortium de six chercheurs, l’initiative WAVECOMPLEXITY. Financée par Université Côte d'Azur à travers l'Académie 2 "Systèmes Complexes" et l'Académie 3 "Espace, Environnement, Risque et Résilience", WAVECOMPLEXITY vise plusieurs objectifs. Le premier est de favoriser les progrès scientifiques interdisciplinaires dans le domaine des phénomènes ondulatoires complexes.


Les ondes : un phénomène physique universel d’une grande diversité

Les ondes sont présentes partout autour de nous, de l'échelle de l'atome à celle du cosmos en passant par le vivant. Elles se traduisent par la propagation d'une perturbation qui prend souvent la forme d'une oscillation ou d'une vibration. Sur son passage, une onde peut modifier localement et temporairement les propriétés physiques du milieu traversé (l’air, certains matériaux).

Certaines peuvent avoir des conséquences dramatiques comme celles invoquées dans les grands tremblements de terre. D’autres occupent une place majeure dans notre vie quotidienne à travers diverses applications (radio, téléphone mobile, musique…) et ce sont souvent des ondes qui permettent la circulation de l’information à l’intérieur des organismes vivants. 

Les ondes sont indubitablement d’une grande diversité, qu’elles soient hydrodynamiques (vagues), électromagnétiques (ondes radio, micro-ondes, lumière visible, etc.) sismiques ou encore gravitationnelles.

Pour apprivoiser leur complexité, la physique et les mathématiques ont fait de grandes avancées pour mieux les décrire et les comprendre. 

Image d'un robuste paquet d'ondes émergé d'un domaine chaotique dans un laser à semiconducteur
Image d'un robuste paquet d'ondes émergé d'un domaine chaotique dans un laser à semiconducteur Crédit: F. Gustave

Un robuste paquet d'ondes emergé d'un domaine chaotique dans un laser à semiconducteur

Mais ce phénomène physique universel ne bouscule pas uniquement les frontières de ces deux disciplines. De par leur extraordinaire richesse, l’étude des ondes promeut naturellement des recherches à la croisée des disciplines comme l’explique le physicien Stéphane Barland :

« L’étude de la propagation des ondes soulève des défis scientifiques qui dépassent les frontières disciplinaires compte tenu de la variété des contextes dans lesquels ces phénomènes sont observés. Mais également en raison de la gamme des outils conceptuels que leur analyse requiert, et de la diversité des perspectives de l'observateur. Un large spectre d’expertises est ainsi mobilisé : allant de l'observation dans le milieu naturel à l'expérimentation en laboratoire, jusqu'à la modélisation mathématique et numérique. »

En raison du paysage scientifique d’Université Côte d’Azur (UCA) et des efforts déployés par de nombreux acteurs du site, le thème des phénomènes ondulatoires a progressivement émergé comme un axe de recherche structurant.


L’émergence d’une communauté scientifique autour des ondes

Le consortium WAVECOMPLEXITY propose de contribuer à la structuration de la recherche autour de la thématique des ondes en assurant diverses animations scientifiques, uniques ou récurrentes.

Cette initiative est l’aboutissement d’une série de démarches préliminaires entreprises par divers acteurs de la communauté.
Parmi les efforts précurseurs figure le projet WIMAG :

« En 2016, au moment de la création de l’IDEX je suis intégré au Conseil Scientifique de l’Académie Systèmes Complexes. En tant que membre de ce comité, j’ai eu la chance de pouvoir observer et constater qu’il y avait une remarquable force de frappe dans le domaine de la science des ondes à UCA. Je pense notamment au consortium WIMAG. Ce projet réunissait des chercheurs du LEAT, d’I3S, du LJAD, d’INRIA et de Geoazur et possédait un partenariat avec Orange. »

WIMAG était la première étape d’un plus vaste projet nommé Wave IMAGing. Au-delà des défis scientifiques tournés vers l’amélioration des performances des systèmes d'imagerie par ondes pour de nombreux domaines d'applications (médecine, télécommunications, etc.), l’équipe visait à créer des synergies. Plus précisément, il s’agissait d’identifier et de rassembler les acteurs de la recherche, les équipes industrielles et les partenaires d’Université Côte d’Azur impliqués dans ces dispositifs d’imagerie.

De même, en 2014 et 2016, un effort de structuration s’amorce à travers la tenue de deux Workshops liés aux ondes anormales (W-AWE2016). Soutenus par la Fédération Döblin pour encourager la recherche sur les phénomènes extrêmes, ces ateliers ont réuni divers spécialistes des ondes – optiques et hydrodynamiques – à Nice.

Dans la continuité et la synthèse de ces évènements, la conférence transdisciplinaire WAVES COTE D’AZUR voit le jour. Centrée sur la non-linéarité et le désordre dans les phénomènes ondulatoires, cette manifestation reposait sur un double objectif. Tout d’abord, promouvoir ce type d’étude sur le site, puis accroître la visibilité internationale d’Université Côte d’Azur. Le pari fut réussi puisque WAVES COTE D’AZUR attire plus de 250 participants de 16 pays différents :

« Suite au succès de ces initiatives et en raison de la contribution de nombreux nouveaux acteurs, la question des ondes a émergé. Elle a aussi fait prendre conscience aux chercheurs locaux qu’ils pouvaient être attractifs à plus grande échelle sur ce type d’étude. »


Du partage d’expérience à la naissance d’une nouvelle structure

En partant des initiatives de structuration précédentes, et en tenant compte de la base scientifique d’Université Côte d'Azur, le consortium WAVECOMPLEXITY propose de fonder une structure dédiée la complexité des ondes :

« Une telle structure se construit à travers un processus progressif, minutieux, et inclusif pour accueillir tous les domaines de recherche dans le but de faire avancer de manière cohérente la science des ondes. »

Le consortium WAVECOMPEXITY illustre la pluralité et l’excellence scientifique dans l’étude de ce type de phénomène :

« Toutes les expertises requises pour l’étude des phénomènes ondulatoires complexes sont à UCA. Le noyau fondateur de l’équipe est composé de six chercheurs qui attestent de cet équilibre à la fois scientifique et institutionnel. »

En son sein, de nombreuses spécialités sont ainsi représentées, telles que la sismologie (J-P. Ampuero – Géoazur) ; la photonique (S. Barland – INPHYNI) ; les mathématiques appliquées et le calcul scientifique pour les ondes (M. Ingremeau – LJAD, S. Lanteri -INRIA) ; la physique théorique (S. Nazarenko - INPHYNI) et l’astrophysique (T. Passot – Lagrange).

« Le consortium couvre un large éventail de disciplines mais également d'approches : des mathématiques à la modélisation numérique (des fondations à la mise en œuvre à haute performance), en passant des expériences en laboratoire et sur le terrain aux observations pures. »

Avec cette vision, l’ambition est double. D’une part, consolider le rôle de l’établissement en tant qu'acteur clé dans les études transdisciplinaires centrées sur les phénomènes ondulatoires complexes. Et, d’autre part, mettre en avant ce type d’étude afin de prendre part à la structuration de la recherche dans ce domaine et faire naître une culture interdisciplinaire.


WAVECOMPLEXITY en temps de crise sanitaire

Pour parvenir à ces objectifs, l’équipe prévoit de mettre sur pied toute une gamme d’actions en vue de développer de nouvelles collaborations pluridisciplinaires autour de cette thématique transverse. Mais WAVECOMPLEXITY est naturellement impactée par l’impératif de distanciation sociale dicté par la volonté de contrôler l’épidémie de Covid-19.

« Le premier de nos moyens d’action consiste à faire du networking pour se faire connaître à l’intérieur comme à l’extérieur d’UCA. Malheureusement, avec les contraintes sanitaires le networking souffre beaucoup actuellement. Initialement, nous avions prévu la tenue d’un ou deux workshops locaux ainsi que la venue de stagiaires sur des thèmes de recherche communs. Ces actions n’ont pu se réaliser l’année dernière. Malgré les difficultés, notre équipe s’est adaptée pour rester engagée dans une démarche d’ouverture. »

Afin d’offrir des possibilités de rencontre et pour favoriser l'émergence de groupes de travail, une série récurrente de séminaires est proposée en ligne depuis la mi-juin 2020 :

« Avec l’équipe, nous avons opté pour un format léger. Toutes les deux semaines environ, deux orateurs font des présentations relativement courtes, d'environ 30 minutes chacune. A ce jour, nous avons reçu plus d’une vingtaine d’orateurs. Notre idée est d’attirer des orateurs locaux et internationaux pour proposer une animation variée et de haute qualité scientifique. Notre public s’est d’ailleurs diversifié et n’est plus seulement local. De plus, ces séminaires mettent en lumière des activités que tous ne connaissaient pas forcément, et créent, peu à peu, des ponts entre les savoirs et savoir-faire des uns et des autres. Ils sont l’occasion de faire se rencontrer des communautés qui ne se côtoyaient pas et leur permettent de dialoguer et d’échanger sur leurs travaux. »

Les conférences WAVECOMPLEXITY sont diffusées en direct, ouvertes à tous, et également enregistrées pour un usage ultérieur, par exemple, pour des étudiants en doctorat ou des stagiaires. Elles sont accessibles sur le site : https://wavecomplexity.univ-cotedazur.fr/

Diverses manifestations scientifiques, comme des écoles d'été/hiver pour des étudiants de troisième cycle, et des programmes de recherche sont aussi envisagés. L’organisation d’une manifestation transdisciplinaire internationale est, par ailleurs, en cours de réflexion pour le printemps 2021. 


Repenser les échanges virtuels

Le registre complet des actions est donc en cours d’élaboration et sera déterminé en concertation avec tous les acteurs du présent projet.

Dans le cadre du déploiement de ces opérations, une réflexion est en cours et consiste à repenser les échanges virtuels afin d’améliorer le networking à distance. Car si les colloques en distanciel ne sont pas nouveaux dans la recherche, leur généralisation de ces derniers mois oblige à reconsidérer la place de la communication informelle et spontanée :

« Les progrès techniques nous permettent de proposer des possibilités d’interaction lors des conférences que nous organisons sur Zoom. En revanche, cette façon de procéder ne nous permet pas de disposer d’espaces de rencontre. Ce point est important car ces espaces sont essentiels pour échanger de manière informelle et pour se constituer ou élargir son réseau. Habituellement, c’est au détour d’une pause-café ou d’un repas que se nouent des liens. Nous sommes en train d’échanger avec Jean-Loic Cavazza (UCA) au sujet de technologies nouvelles pour tendre vers des interactions de plus en plus naturelles. Il s’agit d’aller au-delà des stricts échanges scientifiques et des simples questions-réponses car avec la généralisation des échanges virtuels une lassitude s’installe. Il est donc primordial de donner libre place à des discussions et échanges spontanés pour nourrir la réflexion, la confrontation des idées et les savoir-faire des chercheurs venus d’horizons différents. »


Partager, former et réseauter

La crise actuelle liée au coronavirus a accéléré une trajectoire qui se profilait déjà depuis de nombreuses années au sein des universités. La baisse des budgets couplée à l’avènement du numérique et ses facilités d’organisation justifiaient déjà le recours au distanciel avant le début de cette période singulière.

Dans ce contexte, l’enjeu pour chacun des acteurs de WAVECOMPLEXITY est de savoir se ré-inventer et de tirer le meilleur parti du virtuel et du réel aussi bien pour la recherche que pour les doctorants :

« Notre initiative n’est pas uniquement de créer une dynamique engagée vers une meilleure compréhension des travaux des uns et des autres. Les mini-conférences en ligne sont aussi ouvertes à un public de doctorants afin qu’ils puissent se constituer un réseau. »

Les contraintes sanitaires effectives depuis maintenant un an ont chamboulé le parcours des candidats au doctorat. Empêchés dans leurs recherches ou contraints de reporter la soutenance de leur thèse, les doctorants se sont aussi retrouvés dans l’incapacité de nouer des contacts. Or, durant leur formation et même après, le networking est un moyen efficace de trouver un emploi et de valider des étapes importantes :

« Pour la plupart, les chercheurs séniors possèdent un réseau déjà bien établi grâce aux conférences et autres évènements auxquels ils ont pu assister. Par contre, nos jeunes chercheurs n’ont pas pu se rendre à des conférences cette année. La conséquence est qu’ils n’ont pas du tout de réseau. Lors de nos prochaines actions, nous souhaitons renforcer leur capacité à se créer des relations professionnelles. »

Dans le cadre de WAVECOMPLEXITY des cours de doctorat sont aussi proposés pour encourager l’acquisition d’une culture scientifique interdisciplinaire dès le niveau du doctorat. Si l’excellence scientifique est indispensable pour mener des travaux de recherche de qualité, les rigidités disciplinaires et l’hyperspécialisation peuvent aussi être de puissants verrous à la curiosité :

« La formation doctorale offre un encadrement scientifique personnalisé pour permettre à un étudiant de devenir un expert dans son domaine de recherche. Dans une époque marquée par l’hyperspécialisation, il est crucial de ne pas oublier de s’ouvrir. Dans cette perspective WAVECOMPLEXITY propose aux doctorants des formations transversales pour élargir leur culture scientifique. Tous les étudiants mais aussi les chercheurs initiés dans cette action se trouvent d’ailleurs à la limite de leur zone de confort dans le but de mieux connaitre les travaux des uns et des autres. »

En cette période particulière marquée par la lutte contre le coronavirus, WAVECOMPLEXITY illustre l’importance de bien prendre le virage du numérique. Pour les acteurs impliqués dans la présente initiative l’enjeu est de bien penser le networking à distance pour faire émerger à Nice puis à l’échelle européenne une culture interdisciplinaire autour des phénomènes ondulatoires complexes. Pour réussir cette entreprise de nombreux paramètres sont en jeu, tels que le temps et la sérendipité.

Comme l’indique Stéphane Barland « les réseaux scientifiques prennent du temps à se former » et de ce fait WAVECOMPLEXITY « n’est pas un projet scientifique au sens habituel avec un début et une fin facilement identifiées : c’est une initiative mettant en œuvre des actions guidées par une vision de long terme. »

Un autre facteur et pas des moindres rentre aussi en ligne de compte : la sérendipité : « En dépit de la situation que nous vivons aujourd’hui nous voulons pouvoir continuer à offrir des opportunités de rencontres. Les chercheurs d’UCA engagés dans cette action peuvent pour cela s’appuyer sur la spécificité du paysage niçois. En France, il y a une communauté du non linéaire où se mêlent avec succès les maths et la physique. Par contre, une communauté sur la science des ondes qui va de l’optique à la sismologie, de la physique atomique à l’hydrodynamique, de l’astrophysique à la biophysique en passant par les mathématiques et les sciences computationnelles, ça n’existe pas encore, sauf à Nice. Notre action vise à promouvoir cette spécificité et à créer des ponts entre les disciplines. »
 

Entretien réalisé le 11 février 2021 par l'Académie Systèmes Complexes


Zoom sur Stéphane Barland

Photo Stéphane Barland
Photo Stéphane Barland T. Gazzera
Avant d’obtenir un poste de chercheur au CNRS au sein de l’Institut Non Linéaire de Nice en 2004, Stéphane Barland poursuit ses études de maîtrise en physique à Nice. Il se définit lui-même comme « un produit niçois » bien qu’il soit né à Paris, il a étudié à Nice et il a été « très fortement influencé par une culture scientifique locale rapprochant les mathématiques et la physique »

Il prépare sa thèse de doctorat à Palma de Majorque : « En principe, mon doctorat s’est déroulé à Nice, mais en pratique durant toute ma thèse j’étais à Palma de Majorque dans le cadre d’une collaboration très intense avec l’Espagne. En 2001, j’ai soutenu ma thèse à Nice sur des ondes non linéaires que l’on retrouve dans le domaine de l’optique ou de l’hydrodynamique ». 

Pour son séjour post doctoral, Stéphane Barland retourne en Espagne et axe ses travaux sur la formation et le contrôle des structures localisées dans des lasers à semi-conducteurs. Présents dans de nombreux secteurs d’applications, ce type de laser est généralement utilisé dans le domaine de la télécommunication par fibre optique (internet, télévision, etc.), le stockage de l’information dans les disques optiques (CD ou DVD), ou bien encore la photocopie ou l’impression laser.

Suite à l’obtention d’une bourse postdoctorale, le physicien part séjourner en Italie : « Pendant mon post doc je me suis également rendu à Florence durant 2 ans pour travailler sur les lasers à semi-conducteurs et la rétroaction optique : un exemple de système à retard.»

Depuis 2018, Stéphane Barland est Directeur de Recherches à l’Institut de Physique de Nice. Il y travaille sur la dynamique de systèmes photoniques et tâche notamment de développer des liens avec les neurosciences, mathématiques ou biologiques.